A la loupe : Le retour de l’ogre du tabac

à Clermont-Ferrand (26/09), six étudiants chinois écopent de six mois à un an de prison pour contrebande de tabac. Recrutés via internet, ils gagnaient jusqu’à 20 000 ²/mois à écouler des cartouches de cigarettes, qu’ils recevaient de Chine… par la poste. Selon une source, en 2009, le tabac au noir, c’est 3,5 milliards de cartouches, 11,6% du marché mondial.

A en croire les saisies, elles seraient chinoises à 80% en Europe, 99% aux USA. Or, ce trafic était inconnu en 2000 : la pègre s’engouffre dans le vide créé entre une offre légitime rendue inaccessible par les taxes et la conjoncture, et une dépendance tabagique exacerbée par la crise.

Dans ce retour du tabac de contrebande en Europe, les triades occupent l’avant-scène, s’appuyant sur la diaspora expatriée. Le monopole d’Etat a aussi sa responsabilité: Tutelle du secteur et patron de 10 millions d’emplois, il se bat moins contre la mafia que contre le min. de la santé. Or, l’Etat a bien du mal à sévir contre un secteur connoté dans l’imagerie «révolutionnaire» (tous les leaders fumaient, de Mao à Deng), et qui lui versait en taxes 80MM$ en 2009.

Sur le terrain, monopole et pirates prospèrent de concert. En 15 ans, la production de tabac au noir a octuplé à 2 milliards de cartouches/an, 10% du marché intérieur. Vaisseau amiral de la pègre de Nicot, la ville de Yunxiao (Fujian) cache + de 200 usines aux cachettes parfois folkloriques (sous un lac, sous un temple taoïste), et 50% du débit illicite national. L’État y perdrait 7 MM² en recettes fiscales. Aussi tente-t-il – ou au moins une partie de lui – de lutter, pour récupérer ce pactole, et prévenir 3,5 millions de décès/an du tabac d’ici 2030 (il en est à 1,2 million/an en 2010), affectant sa population active et lui faisant assumer la charge des orphelins. L’année 2008 voyait 3312 descentes dans des ateliers clandestins, 7128 arrestations et la saisie de 41,5 millions de cartouches.

Mais les trafiquants sont soutenus, en sous-main, par les pouvoirs locaux soucieux de préserver un emploi irremplaçable et leurs propres taxes grises. Il faut, en plus, pouvoir arriver jusqu’à ces usines armées jusqu’aux dents. Arrêtés, les employés s’en tirent avec une amende et les patrons avec trois ans, la peine minimale. Quant à la délation rémunérée, nul n’ose s’y frotter, par peur des représailles.

Dans ce trafic rentable, la tendance est à la mondialisation : produit à 1,3¥ à Yunxiao, le paquet de Marlboro se vend à 5¥ en Chine, mais à 25¥ aux USA (4$). Selon un douanier américain, même si 9 lots sur 10 étaient saisis, le trafiquant resterait bénéficiaire. Or, on en est loin—les saisies dans les ports européens sont évaluées à 1/10ème.

Dans cette affaire, tous les Etats, Chine comprise, sont victimes : loi bafouée, perte fiscale (12MM² pour l’Union Européenne, dit Europol, et 30MM² dans le monde entier) et, selon l’OMS, l’Organisation mondiale de la Santé, «1 milliard de morts au cours du siècle», dont le coût restera à charge des Etats, et non des pirates. D’autant plus que ces copies sont plus nocives que les marques d’origine : +80% en nicotine, +130% en CO, sans compter les traces de pesticides et autres innommables déchets.

Aussi pour l’avenir, la coopération s’organise timidement. l’Union Européenne et les USA ont fait venir à Pékin leur «  Mr anti-tabac », pour coordonner la lutte avec l’autorité locale. Toutefois, vu les méfiances idéologiques ou culturelles qui perdurent, il devra passer beaucoup d’eau sous les ponts diplomatiques, des décennies sans doute, avant que nos pays puissent ensemble saisir par les cornes et terrasser le taureau du petit gris au marché noir...

 

 

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