Sport : Tour de Pékin — une « vélorution » parsemée d’ornières

Le 09/10, la Chine vit l’élite du cyclisme mondial, casquée de Kevlar, sprinter vers la ligne d’arrivée du Tour de Pékin, 1er du genre. En cinq étapes, montagnes et plaines, les coureurs avaient franchi Shunyi, Mentougou, la Grande Muraille et les joyaux des Jeux Olympiques de 2008 (Nid d’oiseau, Cube d’eau). T. Martin (allemand, équipe HTC, récent champion du monde du contre-la-montre) remportait l’épreuve.

Avec leurs meilleurs ténors (attirés par de fortes primes), 18 équipes internationales avaient participé à cette course dernière-née du World Tour, qui confirmait la stratégie de l’Union du Cyclisme International (UCI) les 5 continents – après les tours Down Under (Australie), du Qatar, d’Oman, du Colorado… En décembre 2010, UCI et la Commission Nationale des Sports avaient signé pour quatre ans cette boucle pékinoise, avec le support technique d’ASO (Amaury Sport Org.), groupe français propriétaire du Tour de France.

A la remise des médailles, UCI et ASO ne trouvaient pas les mots pour exprimer leur satisfaction. Même si les athlètes chinois manquaient encore à l’appel et le dernier jour lourdement pollué, les routes pékinoises s’avéraient «d’une qualité remarquable». Quant au suivi des media étrangers et locaux, il augurait de phénoménales recettes de retransmission TV, de sponsoring et des publicités.

Des cadres comme P. McQuaid, Président de l’UCI, évoquaient les bénéfices pour l’État chinois qui, sans bourse délier, ferait découvrir ses monuments et paysages à la Terre entière, une fois divers tours établis à travers le pays. Une fois doté de ses propres équipes professionnelles de niveau mondial, il collectionnerait médailles et maillots « rouges », flattant sa conception nationaliste du sport. Quant à la population, elle en tirerait des loisirs nouveaux, spectateur à la TV ou au bord des routes, et de retour en selle, en individuels ou en clubs amateurs. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres— avant de pouvoir goûter ces fruits, que de problèmes à régler, tant virtuels que matériels.

Symbole du fossé culturel, contrairement aux tours européens où les fans peuvent s’approcher des coureurs, le public du Tour de Pékin était parqué sous haute surveillance. La qualité moyenne des routes chinoises est médiocre-défoncées, bondées, dangereuses. D’autre part, tant en terme de répartition des recettes qu’en gestion de la compétition en direct, le partage des compétences entre professionnels étrangers et fonctionnaires locaux ne va pas de soi.

Un long chemin reste aussi à faire pour changer les mentalités—chargées d’un héritage de méfiance révolutionnaire. Chez l’ex-usager aujourd’hui reconverti à la voiture ou aux transports en commun, le vélo n’est guère plus qu’un signe extérieur de pauvreté, d’un usage strictement utilitaire bien éloigné de la vision ludique de notre Petite Reine. Le cadre socialiste lui, se méfie toujours d’un vélo sportif, prélude à l’apparition de clubs, voire pire, de fédérations aux bureaux élus selon le modèle européen… Tout ceci explique l’absence de soutien de l’État et la rareté des courses : aux JO de Pékin, sur 100 médailles à prendre, la Chine n’avait obtenu qu’une, en bronze, en sprint féminin.

Il n’empêche, avec la tenue du 1er Tour de Pékin, une étape est franchie, modifiant la conception officielle de ce sport, de «au service du Parti» à «au service de l’homme». Les autorités s’y résolvent, sous la demande pressante d’une société qui s’enrichit matériellement, à se cultiver physiquement et selon une éthique, ce que permet le 2-roues, comme tout sport. Dans ce processus pourtant, pas question de parler de démocratie -mot qui sonne mal. Comme titre China Daily, « la route du succès est pavée d’argent ».

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