N°1 chinois à partir de 2012, Xi Jinping est plus proche de l’armée que Hu Jintao son prédécesseur. A Washington, une théorie prête à Xi le projet de s’appuyer sur l’Armée pour accéder au pouvoir complet, sans perdre de longues années à circonvenir les hommes que Hu place actuellement aux postes-clés. Le prix à payer pour ce coup d’accélérateur étant plus de libertés à l’ APL , l’armée chinois, pour s’imposer en Mer de Chine du Sud , face à la 6 ème flotte US… Laquelle APL fait peau neuve dès 2011, sortant coup sur coup son chasseur J15 aéroporté, son porte-avions, son bombardier furtif J20 … Mais face à cette lecture alarmiste, un expert occidental en Défense s’inscrit en faux et dresse pour nous un tableau réaliste de l’avancement de l’APL, dans sa longue marche vers la modernité.
Hu, chef militaire qui s’est créé ses bases
Face à l’APL d’abord, le curriculum de Hu est loin d’être insignifiant. Il l’a côtoyée dès son poste de Secrétaire provincial du PCC au Tibet, où, avec la région militaire de Chengdu, il fit durement réprimer les émeutes de 2008.
Puis 2 ans après sa nomination comme vice-Président à la CMC, la Commission Militaire chinoise, (1997), il y nomme deux fidèles, Xu Caihou et Guo Bo-xiong, aujourd’hui les hommes forts de l’armée. Pour Guo, l’ascension fut vertigineuse : personne n’était monté si vite et si haut, d’un rang inférieur à Directeur de département à chef d’état major et à la vice-présidence de l’armée.
En 2004, dès que Jiang Zemin, son prédécesseur, eut quitté la CMC, Hu nomma 10 généraux. En 2006, il y fit entrer des marins, aviateurs et artilleurs : il la rendit « interarmes », brisant ainsi le monopole de l’armée de terre sur la direction des armées.
Jiang avait retardé de 2 ans sa cession des rênes de l’armée à Hu. En fait sans s’en rendre compte, il lui rendit service en lui donnant le temps de réfléchir et de créer sa stratégie propre. En 15 ans, Jiang avait nommé 79 généraux. Hu en nomma 39 en 6 ans (2005-2011) : à peu près au même rythme, mais selon une stratégie différente. Là où Jiang plaçait des vieux officiers « terrestres », à l’ancienneté, Hu privilégie des jeunes de terrain, qu’il responsabilise, comme il le fait d’ailleurs dans l’administration et le Parti.
Ainsi, Hu favorise une levée de jeunes officiers d’active, de scientifiques s’étant distingués dans la R&D (dont 3 présidents d’universités militaires) et de commissaires politiques, 19 sur ses 39 généraux. L’insistance sur la R&D est importante, car elle pallie une faiblesse structurelle du pays – la Chine investit trop dans les applications, pas assez dans la recherche fondamentale. L’arrimage de l’APL au Parti l’est tout autant. Ce faisant, Hu renoue avec la tradition maoïste et assure le PCC contre toute dérive aventureuse de « notre nouvelle Grande Muraille».
Autre stratégie : il nomme à tour de bras des « petits princes » tel Liu Yazhou (gendre de feu Li Xiannian ). Ainsi, il crée ex-nihilo une faction dans l’APL, qui n’existait guère avant 2007. Or, ces gens-là sont l’électorat naturel de Xi Jinping. Des hommes comme Liu Yuan ou Zhang Haiyang auraient été promus généraux de toute manière, mais l’ayant été par Hu, ils lui sont redevables.
Au final, la stratégie de Hu rend sa succession moins tendue que celle de Jiang 10 ans en arrière : Hu et Xi sont sur la même ligne. Hu respecte les anciens, même Jiang, quoiqu’il ait frustré ses espoirs de faire adouber son dauphin Li Keqiang, en se rangeant derrière Xi, son rival. Mais Hu l’a accepté. De son côté, Xi comprend son intérêt à coopérer, pour poursuivre les réformes urgentes. Les militaires n’ont d’autre choix que d’obéir aux deux- de cette harmonie dépend leur légitimité, leur lien au Parti. Notez que la plupart des meetings de la CMC se font sans son Président, lequel doit aussi assurer la Direction du Parti et celle de la République : une telle pratique serait impensable, sans la confiance.
Sous l’angle opérationnel…
L’APL a des équipements modernes. Mais leur efficacité n’est pas démontrée—quid de la capacité des hommes à maîtriser ces matériels ? Ce qui explique l’insistance de Hu sur la formation et la R&D et sur un recrutement d’officiers jeunes, capables d’intégrer la mutation technologique. On note ici d’ailleurs une limite à cette montée en puissance : l’embargo européen sur la Chine et sa dépendance au seul complexe militaro-industriel russe.
L’APL s’est développée, c’est vrai, mais pas autant qu’on le dit. L’armée de l’air est très active, mais c’est surtout la marine qui fait parler d’elle—quoique ses capacités restent limitées, mises à part ses missions-croisières dans le Golfe d’Aden.
Sur ses 70 sous-marins, seuls 40 sont opérationnels, d’une capacité non démontrée et de technologie obsolète, notamment face aux américains. Leur sous-marin stratégique n’a toujours pas son missile, suite à un problème de développement. Leur porte-avions, du type « Sky Jump » en a encore pour 15 ans avant d’entrer en service et ses bombardiers J15, du type F14-Tomcat que l’US Air Force vient de déclasser, ne décolleront alors qu’à réservoirs moitié pleins pour économiser du poids. Ils prétendent disposer d’un missile balistique anti-porte-avions – mais rien n’est moins sûr : toutes les puissances ont abandonné cette recherche, trop aléatoire et pas assez fiable.
Le seul domaine où la Chine peut être plus avancée, est sa capacité offensive du cyberespace, envisageable suite à la destruction réussie d’un satellite en juillet 2007. Ils ont pris le monde par surprise : peu de militaires les en savaient capables. Le message était qu’en cas de conflit à propos de Taiwan, la Chine serait en état d’endommager les communications de l’Occident.
Conclusion : La Chine ne se lancera dans une guerre, que contrainte et forcée, par exemple à la suite d’une déclaration d’indépendance de Taiwan. Mais elle a encore fort à apprendre, et reste bien consciente de ses limites. Un rôle de l’Occident, est de ne pas la conforter dans l’illusion qu’elle pourrait gagner…
Sommaire N° 31