Editorial : Deux affaires d’îles, en automne

L’automne qui s’installe, pose sur la Chine ses tons feutrés — permettant d’adoucir des nouvelles « insulaires » qui seraient autrement plus heurtées.

Telle la réponse « indignée » de Pékin à l’offre américaine de matériels de défense à Taiwan, pour 5,8MM$. Barak Obama avait pourtant pris soin de refuser les 66 chasseurs F-16 C/D modernes que l’île demandait. Il espérait faire passer le message à Pékin qu’il ne faisait que maintenir et non renforcer cette défense. Par ailleurs, un diplomate américain avouait que ces livraisons aériennes apportaient à l’île « tout ce qu’elle attendait » et que le total de ces ventes militaires à Taiwan avait atteint en 2 ans, 12 milliards de $, « plus qu’à n’importe quelle autre époque ».

Tout ceci fit dire au major Général Luo Yuan (vice Président de la CAMS, la Chinese Academy for Military Sciences) que les USA prenaient les Chinois «pour des idiots». 145 chasseurs insulaires allaient recevoir les meilleurs moteurs, radars, avionique et missiles du moment, leur permettant de conserver leur supériorité sur ceux continentaux, voire ceux de l’US Air Force. Aussi, Pékin avertit que l’affaire était « de nature à endommager, mais pas à faire dérailler la relation ».

Mais la diatribe fut faite mezza voce. Prévenue (en août, par le Vice Président J. Biden ), Pékin avait eu le temps de se préparer. Car il ne s’agissait pas d’aller trop loin, ni d’inquiéter les Taïwanais qui devront réélire Ma Ying-jeou (son meilleur allié) au scrutin de janvier. C’est ainsi que dans ce trilogue bizarre, rigide et complice à la fois, chaque partenaire s’efforce à la fois de provoquer l’autre et d’éviter le pas de trop…

Autre sujet chaud : le programme chinois d’insularisation, remède contre l’hyperurbanisation en zone côtière. C’est l’étape ultime, après celle du bétonnage des côtes, dont la Chine reconnaît désormais la nocivité. Selon le modèle de Yangshan au large de Shanghai, le programme-pilote approuvé en oct. 2010 par le Conseil d’Etat permet la création d’îles artificielles, valorisant les 20.000km de côtes et d’espace marin. Le Shandong est en pointe, avec 96 millions d’habitants compressés dans ¼ de France, entre 3 345 km de bord de mer. Huit sites d’archipels sont pressentis, dont Longkou. Là, pour 10MM¥ d’investissement, six îles émergeront en 2014, du déversement de 300 millions de m3 de terre et de roche. Sur les 35 km² gagnés, seront créés 100.000 emplois et du logement pour 300.000. Aux zones industrielles d’électronique, chimie ou mécanique s’ajouteront un port, la marina et un golf à la vue imprenable sur la mer. Ces travaux coûteront 100milliards de ¥uan, mais rapporteront le triple par an, dès 2020.

Sur le papier, les atouts sont imbattables. Ces terres vierges, appartenant à personne, permettent de contourner presque tous les règlements : pas de priorité à l’agriculture, ni de frais de relogement ou de démolition. Elles coûtent peu : 300¥/m² à la production, 1155¥/m² à l’adjudication. Les compagnies de remblai, telles Zhuoda ou Nanshan, seront aussi présentes, de la construction jusqu’à la vente et au management—concentration verticale permettant de maximiser les profits entre eux et les cadres.

Certes, il est des voix discordantes, en ce concert de « brave new world »: océanographes, anciens de la SOA ( State Oceanic Administration ) sonnent l’alarme. Repousser la mer, c’est reformater à l’aveugle relief sous-marin et courants. Liu Hongbin, professeur à l’université des Océans avertit des effets de ces îles sur la faune et la flore, pollution et sédimentation qui n’apparaîtront que bien plus tard. « Si le Shandong se lance dans la chimie lourde et rejette sans limite les effluents dans la fragile Mer de Bohai, la Chine aura bientôt sa Mer Morte » dit le promoteur Feng Yihou. Les écologistes espèrent que la SOA applique sa circulaire de 2007, prétendant limiter le nombre et la densité des îles artificielles.

Est-ce une coïncidence si cette affaire émerge en même temps que le scandale Conoco-Phillips, accusé de marée noire sur la même mer ? La différence de couverture dans la presse est flagrante, entre le « ramdam » autour de cet accident, malgré les efforts du groupe US pour limiter les dégâts, et le silence sur les mégaprojets de remodelage de toute la mer, au danger dix fois supérieur. Question de soutien en haut lieu. Mais les choses changent…

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