Petit Peuple : Changzhou : le courage d’être soi

Sur la jeunesse shanghaïenne de Zhangzhen, contremaître à Suzhou (Jiangsu), le reportage de sina.com est peu loquace, comme sur ses années noires, la férocité des « copains » de collège l’isolant à toute occasion au nom de son travers. L’article précise seulement que ce garçon très musclé mais aussi très timide s’était laissé guider par ses maîtres vers une carrière de chef de chantier à Suzhou pour laquelle il n’était pas forcément prédestiné.

Ses 1ères années d’adulte, il était resté seul, faute d’oser ramer à contre courant de la bienséance. A 35 ans, sous la pression conjuguée des parents et du patron, il accepta la mascarade d’un mariage arrangé. Lequel ne donna rien du tout, ni la tendresse ni la connivence qu’il attendait, ni le retour à la normalité qu’ils espéraient.

Au moins, le divorce rondement mené lui avait fait prendre conscience de l’impératif de courage, s’il voulait se réaliser. S’affranchissant des parents, il ne quitta plus Suzhou, sa nouvelle patrie, et quand ils vinrent lui rendre des visites toujours plus nerveuses pour lui présenter quelque nouvelle fiancée, il s’arrangea toujours pour éluder, prétextant ses soucis financiers. Le soir par contre, il papillonnait dans les boites gay, anxieux de rattraper les ans perdus. Un des rares avantages à se lancer, à 30 ans passés, dans la course au plaisir : son âge le qualifiait indiscutablement au rôle du mâle.

Si nous racontons cette histoire, c’est que le 20/11 dernier au « Junlin » (« le rendez-vous des gentilshommes »), boite réputée de Changzhou, Zhangzhen épousait en justes noces Yingxi, 23 ans, chanteur et danseur du Yun-nan, travesti. Dix ans avant, Yingxi avait découvert sa féminité et appris à la cacher comme une tare, changeant même de registre de voix quand il s’adressait à sa famille. A peine pubère, fuyant école et parents, il s’était enfui à Shanghai pour y déployer sa vocation d’artiste.

En complets impeccables, l’un noir, l’autre orange, ro-ses rouges à la boutonnière, ils accueillaient leurs hôtes, des 100aines d’homosexuels de quatre autres provinces accourus pour les lancer dans leur vie nouvelle.

Zhangzhen et Yingxi s’étaient rencontrés en juin. Après des mois de passion amoureuse, Yingxi venant de visionner la 1ère cérémonie matrimoniale unisexe du pays (le 3/01/2010 à Chengdu, Sichuan), avait confié à son amant sa lassitude des aventures et son souhait d’un engagement. Zhangzhen s’était alors découvert la même envie.

En droit, comme en culture matrimoniale, la Chine est un bon endroit pour ce genre d’expérience : l’union légale se résume à une formalité de cinq minutes au bureau des mariages. Dans le cas du couple Zhangzhen/Yingxi, elle était interdite, et n’eut pas lieu. Mais celle qui compte, la fête et les rites, la bénédiction d’une communauté et d’un Dieu sont du domaine privé, (chrétien ou bouddhiste, taoïste ou confucéen, moderne ou classique) : avec autant de rites que de mariages. Ici, le maître de cérémonie était le manager du site gay du Jiangsu et fêtait en même temps la 7ème année de son portail de rencontres. En bonne tradition, le couple offrit le banquet, reçut les enveloppes rouges. Ils échangèrent les bagues et burent au verre de l’autre, coudes croisés, avant la bise sous la standing ovation… En fait, toute cette communauté s’exprimait à travers la fête – elle criait l’exigence de reconnaissance, d’honorabilité et de dédiabolisation.

Cette union retentit sur Internet -marquant le réveil de l’homosexualité chinoise après des décennies d’hibernation. Mais les parents, comme leurs entourages dans leurs villes d’origine, ignorent toujours tout. Même sur son chantier à Suzhou, Zhangzhen doit maintenir ses gardes en permanence pour ne pas se trahir par des regards ou gestes imprudents : il mène ainsi sa vie de «Dr Jekyll et M.Hyde», ne laissant rien deviner de ses penchants.

En octobre, ils sont allés ensemble à Shanghai voir les parents de Zhangzhen, sans rien leur dire évidemment, présentant Yingxi comme « meilleur ami ». Pour l’avenir, ils espèrent pouvoir amener le sujet en douceur, faire accepter aux aînés la situation. Sans nulle garantie de réussite cependant. Pris entre marteau et enclume, la «difficulté d’avancer comme de reculer», 进退两难 (jìn tuì liǎng nán), ils ne se plaignent pas : leur révolution à eux, ils l’ont réussie !

 

 

 

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