La visite de Hu Jintao chez Barack Obama à Washington (19-22/01) a suscité une floraison de manchettes de presse sur les 5 continents -«choc des titans», «duel des géants»… L’insistance des média à faire de ce sommet un moment crucial pour la planète est révélatrice d’ un sentiment universel de désarroi, l’attente vague d’une solution miracle, d’une locomotive sino-américaine, pour soulager le monde de problèmes de croissance qui, par leur ampleur, dépassent nations et régions.
C’est d’ailleurs en ce sens qu’était agencé l’agenda des présidents, dédié à des sujets bilatéraux avec incidence directe sur les cinq continents: – taux idéal du yuan, impliquant la – remise à jour des règles monétaires internationales, – paix entre les Corées, – coopération en énergies propres avec en filigrane, – les règles du futur jeu mondial de la décarbonisation…
Or de tout cela, qu’est-il sorti ? Peu de choses. Un climat «feel good», pétri de courtoisie et de volonté partagée de créer la confiance. Un ton plus franc pour aborder les thèmes délicats. Obama évoqua les Droits de l’homme, le protectionnisme des marchés publics chinois, le piratage industriel. Hu insista pour que les USA cessent de lui parler du Dalai Lama ou d’armer Taiwan.
Mais, pas plus qu’aux sommets précédents, la moindre concession n’a été faite. Après la rencontre, le vice ministre des affaires étrangères Cui Tiankai déclarait qu’en matière monétaire,«la politique chinoise n’allait pas changer substantiellement»…
Par contre, la Chine paie. 45MM$ de contrats signés, dont 19MM$ pour 200 Boeing et plus de 2MM$ à GE pour 5 projets innovants, en TGV (JV avec CSR – assuré de sa part des trains des futurs corridors ferroviaires Floride et Californie) ; en aviation (JV avec AVIC pour fournir l’avionique du C919, prochain rival de l’A320) ; JV avec Shenhu en usines à gaz ultra-performantes de l’avenir… ainsi qu’une mirobolante commande de 11,5Mt de soja US, 50% du marché mondial, pour 6,6MM$…
Ce «chèque» chinois de 45MM$ fait réfléchir sur l’emprise croissante de la Chine sur les économies matures. Surtout quand on s’aperçoit que des montants presque identiques viennent d’être versés à l’Europe, comme fruit d’une stratégie délibérée. Les derniers voyages de Hu Jintao, Wen Jiabao et de Li Keqiang en Europe, ont abouti en Allemagne à 8,7MM² de contrats, 3,5MM² au Royaume-Uni, 7,5MM² en Espagne et 20MM² en France, soit un total de 40MM².
En achat de dette publique, la Chine a déboursé 6MM$ à l’Espagne, 5MM$ au Portugal, d’autres montants secrets à la Grèce et l’Irlande, pour un total supérieur à 20MM$, tandis qu’en novembre 2010, la Chine acquérait pour 23MM$ de bons du Trésor américain. C’est de bonne guerre. Ses faibles taux de consommation et de couverture sociale permettent à la Chine de soutenir le train de vie des pays riches, en échange d’un partage du pouvoir, et d’une remise en cause de leurs valeurs.
Tout cela n’est que provisoire : la Chine sait qu’elle n’a plus beaucoup de temps pour régler ses problèmes sociaux (voir p.2), face à une rue qui sait à quoi ressemble une société de bien-être, voire un état de droit, et qui presse le régime de combler son retard.
Mais concernant l’Europe, confrontée à ce dialogue sino-américain dont elle est absente, deux choses sont claires :
– c’est seulement en révisant à fond son mode de vie (systèmes d’emploi, de santé, d’éducation, de défense) pour le réconcilier avec ses moyens réels, qu’ elle rompra cette dépendance envers la Chine tout en reprenant avec elle un dialogue d’égal à égal ;
– et cette révision devra se faire après dévolution de plus de pouvoirs à Bruxelles afin de faire jouer enfin l’atout d’ une population de 450M d’habitants parlant d’une seule voix, via une seule instance.
Mais sur cette voie qu’impose la crise présente, le risque est celui d’Etats membres affolés par la paupérisation, vulnérables aux chimères régionalistes ou néo-totalitaires —voire xénophobes (anti-chinoises entre autres), ouvrant la porte aux pires incertitudes !
Sommaire N° 3