En fait, ce qui arrache Shi Baikui à son destin terne, est la dramatique aventure de la nuit du 8/04, et l’étincelle de génie qui brilla quelques heures en lui, avant de se ré éteindre, le replongeant dans sa gangue de banalité.
Originaire de Shizhuang, pauvre hameau dickensien du Shandong, aux masures de guingois, les paysans vivaient là, hagards, aux poitrines creuses, tel Shi Xihua, son père, malade et endetté chronique. Les 3 enfants analphabètes-après avoir quitté l’école à 12 ans – malingres, aidaient le père sur les chantiers.
A 15 ans, en 1998, Baikui tomba d’un échafaudage et se rompit l’échine : il y resta bloqué à sa taille définitive, 1m60. Ce qui le força bientôt à partir pour la ville, trouver sa pitance en petits jobs précaires, dormant en dortoir. Il ne retournait qu’une fois l’an, au chunjie, histoire de prouver aux parents qu’il demeurait en vie. Il passa 10 ans à cette vie végétative, désespérant Li, sa mère, de le voir se marier – mais quelle fille aurait voulu du pauvre illettré ?
Octobre 2010 : n’y tenant plus, sa mère lui imposa ce qu’elle croyait être l’idée géniale, mais qui hélas, ferait son malheur. Elle l’inscrivit à un stage de soudure à l’arc, dont il sortit armé d’un CAP. Suite à quoi mi-février, avec son frère et son beau-frère, ils partirent pour Hohhot (Mongolie Intérieure), monter une centrale électrique.
Mais une fois là-bas, une vieille connaissance guettait Baikui. A 50m de hauteur dans un harnais, il lui fallait chaque jour souder des plaques de fonte sur la paroi de la chaudière. Le vertige le saisissait, éveillant le souvenir de sa chute d’adolescence… A ce régime, il tint 40 jours : fin mars il prit sa paie, complétée de 300¥ du frère, pour rentrer au village -auquel il n’arriva jamais…
En effet, cette peur dégradante et l’humiliation subie l’avaient fait disjoncter. Une mystérieuse alchimie de l’âme l’avait libéré, lui faisant sauter deux étapes initiatiques. Jamais il ne chercherait plus un emploi stable, et jamais plus, il ne mangerait de la soupe à la honte. Rebelle, il ne pensait plus qu’à vivre !
Pétries d’errances, les semaines qui suivirent demeurent mal documentées. Ce qui est sûr, est qu’il monta à Pékin pour s’offrir les excentricités que lui permettait son budget famélique. Quoique misérable, il était libre à présent, et vivait tous les rêves de sa vie.
Le 8/06, à la Cité Interdite, il visitait une expo inattendue d’accessoires en maroquinerie, ornés de pierres précieuses, venue de Hong Kong. Et c’est là que lui vint l’idée satanique de s’enrichir pour toujours, écraser du pied guigne et mal-être. S’écartant du groupe, Baikui se cacha dans une resserre à outils. Il en sortit vers 22h, et traversant l’espace désert, brisa à la masse un mur de placoplâtre pour «revisiter» l’expo, explosant les vitrines, empochant la joaillerie.
Dehors, il faillit se faire épingler par un vigile-heureusement distrait. Sauvé par la pénombre centenaire, Baikui prit la clé des champs sautant de toit en toit avant de se laisser glisser jusqu’à la rue, du haut des 10m du mur d’enceinte.
Le lendemain, les conservateurs consternés comptaient les dégâts : il y en avait pour plus d’1M² d’objets prêtés par le magnat Fung Yufai, du musée Liangyi, de HK, donc étranger: la perte de face était complète…
Ensuite, les choses se gâtèrent. Autant l’effraction avait été inspirée, autant le recel trahit l’amateur, accumulant les fautes. Avoir semé 2 pièces sur 9 dans sa fuite, avait mis la police sur sa piste. Il n’avait pas idée de la manière de convertir son butin en renminbi sonnants et trébuchants… Dans un café internet, le 11 au soir, il se fit prendre fourguant sa camelote pour quelques thunes : discrètement le loufiat donna l’alerte et l’amusa, laissant aux policiers le temps de le cueillir. En’87, le dernier monte-en-l’air à la Cité Interdite avait reçu la perpétuité. Pour son acte insensé, Baikui ne peut espérer mieux : c’est ce que l’on appelle en Chine «一失足成千古恨 yī shī zú chéng qiān gǔ hèn» (l’instant de folie qui grille toute une vie) !
Sommaire N° 24