En mer de Chine méridionale, à 40km au large de DaNang le 13/06, la marine vietnamienne tenait des exercices, presque sans préavis. Les 8-10/06, 14 navires de l’APL (sous-marins, destroyers équipés de missiles anti-porte-avions de l’armée chinoise) traversaient la chaîne des îles nippones et s’entraînaient dans le Pacifique-Ouest à « défendre les atolls et protéger les lignes de navigation » – sous les yeux du Japon et de Taiwan en alerte.
Ce branle-bas est poursuivi par toutes les forces navales de la région: seconde sortie de l’APL en Pacifique-Ouest notifiée fin juin, exercices Behai taiwanais près de l’île Taiping; manoeuvres mixtes US-Philippines Carat à l’Est de Palawan (28/06-8/07, 6 bateaux de l’US-Navy), manoeuvres conjointes US-Vietnam avec la 7ème flotte US d’Okinawa, 2 destroyers, un porte-avions…
Manille rajoute à la tension en rebaptisant « sa » mer de Chine «Mer des Philippines -Ouest» et en lançant son vaisseau amiral Rajah Humabon contre le Haixun 31, garde-côte de 3000t que Pékin vient d’envoyer «faire respecter sa souveraineté». Hanoi elle, brandit le spectre de mobilisation générale: selon l’expert australien C. Thayer, «les relations sino-vietnamiennes sont au plus bas depuis 1992 » -et celles sino-philippines, de même !
Mais comment en est-on arrivé là ?
On a décrit (VdlC n° 21) les démêlés récents mois entre ces trois pavillons, dans des zones multi revendiquées. Il s’agit d’incidents mineurs, (câbles coupés par des chalutiers, accusations de tirs sans victimes ni dégâts). Apparemment voulus pour provoquer sans franchir le point de non-retour. Qui en est l’auteur? C’est au fond un point secondaire -les deux bords ayant chacun des extrémistes capables du passage à l’acte-, mais les petits pays semblent y avoir eu le plus intérêt.
Le problème réside dans la revendication de Pékin sur toute la Mer de Chine, ne laissant aux voisins qu’une bande côtière de 32km et n’acceptant de «négocier» qu’unilatéralement. Dès 2009 à Qingdao, l’APL dévoilait une flotte moderne, qui comptera 350 unités d’ ici 2015. Et dès 2010, elle s’en servait, imposant sa loi sur cette mer intérieure, arraisonnant par centaines les chalutiers des petites nations riveraines.
Sa supériorité navale (bientôt renforcée d’ici décembre par l’arrivée du porte-avions Shi Lang, l’ex-Varyag ukrainien racheté en 1998), a fait vite saisir aux pays de l’ASEAN (Association des Nations d’Asie du Sud-Est) leur vulnérabilité. Elle a inspiré des réconciliations éclairs de leurs conflits antiques et suscité un réarmement et une alliance express, encouragés par les USA (Robert Gates, Secrétaire à la Défense).
Hanoi et Manille, à l’évidence, jouent leur chance, la seule pour éviter la confiscation de leur espace naval. Sourds aux exigences de Pékin, ils internationalisent le conflit. Hanoi commande à Moscou 2MM$ d’armes, six sous-marins classe Kilo (rénovés, équipés des derniers sonars) et des bombardiers Sukhoi 30. Elle lui fait rebâtir sa base de Cam Ranh, la meilleure rade de Mer de Chine et en offre l’accès à toutes les flottes militaires que la Chine voudrait tenir à l’écart : l’américaine, l’australienne, la coréenne et l’indienne.
Par toutes ses actions, l’état-major chinois exprime qu’il n’est pas d’humeur à la souplesse. Le potentiel de dérapage en conflit est évident, pense L. Goldstein, du US Naval War College.
Pékin accuse les USA de double jeu, et d’être « le seul véritable gagnant de cette crise qu’il instigue ». Certes, Washington a été trop heureux de retrouver son rôle, déserté sous G.W. Bush, d’arbitre-gendarme de la région. Mais on veut bien croire Obama quand il se dit «troublé» par ce risque de conflit, et milite pour «un mécanisme de règlement pacifique» via la Convention de l’ONU sur le droit de la mer… que la Chine, à cette heure, prétend ignorer…
L’envoi par la Chine du Haixun 31 enfin, est encourageant : il est un navire civil, peu armé, et sa destination est Singapour, terre étrangère. Clairement, le gouvernement préférerait éviter l’affrontement, pour sauver ses espoirs d’image «soft power» et consolider l’arrimage de l’ASEAN en sa sphère d’influence. Mais que pèsera cette aspiration face aux besoins en pétrole dont regorge cette mer, et à l’Etat dans l’Etat qu’ est 我们的新长城 «notre nouvelle grande muraille»? L’avenir seul le dira !
Sommaire N° 23