Destinée simple et éphémère, Liu Caodong file dans la nuit noire, pilote de course dont chaque année d’existence semble compter pour 10, empli à l’excès de fureur de vivre. Né en 1985 d’une famille aisée de Chongqing, dès l’âge de 15 ans, il s’initie à la conduite sur la Jetta de ses parents. A 17 ans il dispute son 1er rallye puis à 18 ans le championnat de Chine-CRC (rival du « Championnat de Chine/Asie Pacifique ») au volant d’une Mitsubishi Lancer.
Remarqué par beaucoup d’écuries automobiles étrangères (à l’affût d’espoirs du volant, pour se faire connaître du public chinois), il est embauché en 2004 par VW (groupe FAW) pour le rallye de Chine qu’il gagne : le voilà champion, à 19 ans !
Suivent 4 années fastes. Braun, la grasse écurie privée américaine le prend sous son aile. Il regagne le CRC en 2006 aux mannettes d’une Impreza WRX. Il est élu 1er «pilote chinois de l’année» et passe dans la cour des grands, aux grosses cylindrées, à l’international. Braun l’aligne sur le CdC/AP de 2007. Ford l’invite aux tests du rallye d’équipe Wales au Royaume-Uni, au volant d’une Volvo.
Juin 2008 marque l’apogée pour Caodong, qui reçoit à 23 ans le titre de « plus rapide pilote de Chine». C’est Xu Lang ou plutôt son fantôme qui lui passe son sceptre glacé : ce souverain en titre de la course chinoise (vétéran du Dakar) venant de retrouver sa vieille fiancée la mort, lors d’un rallye russe.
Entre-temps, Liu convole, et s’offre en cadeau de noces une F430 spider – car. Telle est sa vie, jamais vraiment coupé du shoot de l’adrénaline et les relents de gomme brûlée. Entre deux courses, il rentre à Chongqing, pratique le mountain bike pour l’endurance, le golf pour la concentration. Il fait tout à l’excès, heures diurnes de jeux internet, bombances nocturnes avec les copains – bière, gin, plats incendiaires au piment du Sichuan.
Au championnat « AP »- 2008, il sacre sa 3ème victoire nationale, puis s’attaque au championnat de Nle Zélande – sa 1ère apparition en championnat du monde.
Vient l’automne, et sa mauvaise nouvelle : partout, les budgets s’épuisent dans le sable de la récession. Pour tenir, les écuries misent sur des mercenaires anglais ou scandinaves, pas trop chers (2ds couteaux) et plus rapides. Liu doit faire figuration, comme au rallye de Chine (CRC) en septembre à Shaowu (Fuzhou), où il finit 2d derrière le finnois Jarkko Miettinen sur Mitsubishi. C’est alors qu’il gagne le sobriquet de «couteau à double tranchant», pour son style toujours plus téméraire et trompe-la-mort.
A ce prix, il reste en course: en fin de saison, Ford le réinvite au Wales, cette fois par la grande porte de son écurie Stobart. Mais le cadeau s’arrête là : débarqué en Angleterre à la veille de la course, sans aucun jour libre pour s’acclimater à la voiture, au parcours inconnus, au coéquipier anglais dont il ignore la langue, ils finissent 27èmes : Ford fait sauter sa place en championnat du monde.
La chance a tourné : en 2009 «pour quelques points», il rate le CRC et en 2010, il doit se contenter d’un titre honorifique, le CRC Arena. Il ronge son frein.
En 2011,le balancier revire de bord. Ayant raté plusieurs épreuves comptant pour le CRC, Braun sort les grands moyens, pneus Hancook exclusifs, 2 Mitsu gros cubes. Autre atout de Caodong, les mercenaires européens sont repartis… Mais voilà, au moment où il a tout en main pour renouer avec la gloire, il n’y croit plus. À chaque essai, il quitte la pis-te et doit subit un humiliant « savon» du chef d’équipe.
Juste après, au mariage d’un copain à Chengdu, le pilote déboussolé s’envoie des litres d’alcool blanc baijiu. Il s’effondre, meurt 18 jours plus tard, à 26 ans. Sur la toile, les amis des cinq continents se recueillent, célébrant son enthousiasme et son talent. «RIP», répètent-t-ils, « les chandelles s’éteignirent et la lune disparu t» (烛尽月沉 Zhùjìn yùechēn) : conscients d’avoir perdu un brave, modeste et sans chichis : un des tous premiers de leurs frères en Chine.
Sommaire N° 23