6-4, 7-6 : score sans bavure, le 4 juin à Paris, Li Na bat Fr. Schiavone, tenante du titre de Roland Garros.
C’est un grand moment pour la Chine et le tennis, 1ère victoire d’une asiatique en tournoi ATP -même les Japonais, fans de ce sport, n’y sont pas parvenus. 95 millions de Chinois suivent sur CCTV5 : engouement qui promet de rivaliser avec Liu Xiang, champion de 110m-haies – «une étoile est née».
Cette popularité a une seconde raison, à vrai dire pas des plus politiquement correctes. Pour gagner, Li Na s’est arrachée à la machine d’État qui la formatait, abandonnant le tennis à 20 ans. Seule, elle a fait sa longue marche, avant de reprendre la raquette, cette fois de sa volonté, et selon des règles qu’elle a imposée aux autres. C’est donc une sportive d’une espèce mutante, aux qualités rares d’humour, de plomb dans la cervelle et camaraderie sportive.
Native de Wuhan (Hubei) en 1982, Li Na entame sa carrière à 6 ans comme tant d’autres, dans un pensionnat spécial où elle vit en forçat du sport, loin des parents. D’abord affectée au badminton, elle est redirigée sur le tennis, « parce qu’elle aime le soleil ». A 16 ans, son flirt avec Jiang Shan, son copain du collège, fait des étincelles -le temple du sport n’admet que deux passions (pour les médailles et la patrie) et surtout pas l’amour, chose rivale. En 2002, 1ère révolte, lassée de cette vie de fonctionnaire du sport, Li Na quitte pour l’université Huazhong où elle étudie… le journalisme, matière d’éveil.
En 2004, elle est rappelée en équipe nationale par la China Tennis Association, anxieuse de rattraper cet espoir en roue libre. Et dès l’année suivante à 23 ans, elle recraque. À la Saint Valentin, boite de chocolats en main, elle a prié Jiang de l’épouser, ce qui fut fait, faisant faire les gros yeux aux entraîneurs : alors, Li Na claque la porte, déballant à la presse (le crime ultime en ce pays!) la bureaucratie, les horaires insensés, les plans d’entraînement rigides et non ludiques, et le droit de l’État d’écrémer les deux tiers des primes engrangées en tournois. Sun Jinfang, patronne du tennis national rétorque, smashant sur son attitude «sans éthique, irresponsable et mercantile». Mais après deux ans, Li Na obtient gain de cause avec Fly Alone, plan expérimental qui lui laisse choisir son entraîneur (son mari) et garder 88% de ses gains : c’est la liberté, chemin tracé vers la gloire de Roland Garros.
Cette victoire plonge en profond malaise la machine d’État – celle du sport, et les autres. A l’étranger, Li Na se retrouve meilleure ambassadrice d’un pays qui en a bien besoin. Mais à l’intérieur, elle est un modèle de la victoire par l’affirmation de soi et la fidélité à des méthodes étrangères, incompatibles avec la discipline passive et l’absence de créativité qu’exige le système.
Aussi pour l’heure, pas de retour triomphal au pays -pourtant un instant envisagé. Et Li Yongbo, le chauvin entraîneur national de badminton minimise ce succès: « elle n’est pas championne olympique… le tennis, d’ailleurs, est une affaire plutôt occidentale… Roland Garros n’est pas vraiment une compétition internationale »… Sur la raison ultime de ce dénigrement, Pei Dongguang, de l’institut capital d’éducation physique a son idée : « trop d’intérêts sont en jeu. Si nous démantelons la machine, comment tous ces gens retrouveront-ils du travail ?».
Cette idée, au demeurant, vaut aussi bien à tous les autres organes de contrôle des masses, aux effectifs et budgets pléthoriques, mis en place par Mao pour assurer la « dictature du prolétariat » …
Sommaire N° 22