– A Huaishan (Anhui), le 28 avril, Zheng, collégien de 17 ans mourait d’envie de s’offrir Ipad-2, le ruineux gadget.
Pour frimer devant les copains et les filles, il lui fallait ce joujou coûte que coûte. Mais comment payer, avec ses poches percées et ses parents intraitables? Il pianota sur internet, et trouva:à Chenzhou (Hunan, plus de 1000km au Sud-Ouest), quelqu’un payait 22.000¥ un de ses reins. Cool. L’annonce le spécifiait, «aucun danger» et pour vivre, on n’avait besoin que d’un. Rapide comme l’éclair,muet comme une tombe, il prit contact. Lâchant foyer et école, il fugua pour Chenzhou, où on l’opéra en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.
Quand il rentra de cavale, pâle et maigre comme un chat, ce furent l’Ipad-2 et l’Iphone-4 que sa mère trouva en son sac, et surtout le trait de bistouri hachuré sur sa hanche qui lui mirent la puce à l’oreille.
Ayant perdu sa superbe, le fils avoua tout – affaibli qu’il était du viol chirurgical, qui venait de lui faire prendre 20 ans en huit jours. La mère le ramena à Chenzhou pour porter plain-te: ce fut pour trouver un joli sac de noeuds. L’agence intermédiaire n’avait pas laissé d’adresse – juste des téléphones aux abonnés absents. Quand à l’ «hôpital 198» auteur de l’ablation, il n’avait pas la licence pour faire des transplantations, son service d’urologie était sous-traité à un groupe d’affaires privé du Fujian, il n’y avait nul responsable à la ronde, nul ne se souvenait de rien – Zheng était fait comme un rat !
– Six jours avant, Yao Jiaxin, 21 ans, du conservatoire de musique de Xi’an (Shaanxi), était condamné à mort pour son geste du 20/10/2010.
Au sortir du campus de l’Université du Nord-Ouest, ce soir vers 22h30, au volant de sa petite Chevrolet Cruze, il avait accroché Miao Zhang, la fille de la cafétéria (22 ans, mère d’une fillette de 2 ans) qui pédalait vers son chez soi, son service achevé. Elle n’avait que des égratignures et (la radio l’établirait) une fracture du péroné. Mais la maudite s’obstinait à rester à terre, guignant sa plaque minéralogique, en train de concocter toute une embrouille pour soutirer à ses parents de faramineux dommages.
C’est alors que Yao trouva la solution lumineuse, le plus court chemin pour mériter la balle de l’exécuteur, qui l’attendait le 6/04 : sortant du coffre à gants son poignard contre les mauvaises rencontres, il frappa huit fois la fille, insensible à ses supplications, avant de re-démarrer, renversant dans sa fuite deux témoins.
Entre ces enfants perdus, quelles similitudes ? Chez tous deux, on voit une imagination démente que n’arrête ni la peur de la loi, ni celle de la souffrance d’autrui, ni de la sienne propre. On voit le même passage à l’acte immédiat. Yao et Zheng vivent une liberté primitive, presque animale, sans autre re-père que leurs besoins immédiats vus au filtre du fric, outil d’échange de leur monde matériel. Monde inculte, sans contre-pouvoir: on devine des décennies de silence parental et démission des maîtres. Le fruit est une méfiance viscérale envers tou-te la terre, à commencer par leurs aînés: comme un jardin en friche, aux valeurs à l’abandon: 阴差阳错 Yīn chà Yáng cùo, «le Yin manque, et le Yang est faux».
A qui la faute ? A l’histoire, au hasard, à la mutation sociale d’un système à un autre. A mesure que la société gagne en sophistication et personnalité, le régime endurcit ses programmes scolaires, décourageant l’expression personnelle et l’esprit d’équipe – foyers de démocratie. Et la course aux exams, ce marche ou crève écarte ceux qui ne vont pas dans le moule. Un symptôme est le départ des jeunes vers des études à l’étranger (230.000 en 2009, 600.000 en 2014). Mais cette expression de soi, cette forme incompressible d’indépendance ne peut être éradiquée – elle est le principe fondateur de l’humanité.
Tout au plus peut la plonger dans la démence, en la réprimant à l’extrême: c’est la névrose, telle que la définissait déjà, un siècle en arrière, le bon docteur Sigmund Freud !
Sommaire N° 22