Le 10/05 à Abag (Mongolie Intérieure), un camion de houille écrase Mergen, berger qui tentait de protéger ses terres. Le 15/05, un autre Mongol est tué lors d’un conflit avec une compagnie minière: alors dans le territoire autonome, tout explose.
écoliers, bergers, camelots marchent sur Dongsheng, Tongliao, Chifeng, Shuluun Huh et d’autres. A Hohhot, les étudiants de l’Université Mongole jettent par les fenêtres leurs cours en chinois. A Xilinhot, le 25/05, 2000 jeunes crient en mongol, brandissent des calicots «protégez nos prairies», et revendiquent pour leur martyr un mausolée.
D’abord surprises, les autorités mettent quelques jours à réagir, coupant l’accès vers la Mongolie (route, téléphone, internet). Puis la riposte vient puissante, destinée à enrayer mais aussi à communiquer et à rasséréner. C’est peut être la 1ère sortie publique de Hu Chunhua, le jeune secrétaire du Parti (48 ans) protégé de Hu Jintao (son homonyme) promis aux plus hautes destinées : étant pressenti à la tête du Bureau Politique après Xi Jinping. C’était pour lui un baptême du feu, comparable à celui de Hu Jintao au Tibet en 1987, lors d’émeutes de lamas qu’il avait étouffé dans le sang sans état d’âme, donnant ainsi (du point de vue du régime) la preuve de sa capacité à tenir plus tard le navire-Chine. A Pékin, l’incident mongol avait été jugé assez grave pour justifier (30/05) un meeting du Bureau Politique, dédié au « renfort et à l’innovation de la gestion sociale ». En effet, la crise tombait au pire moment, juste avant l’anniversaire du printemps de Pékin 1989…
A Xilinhot, les meurtriers ont été vite arrêtés. Hu Chunhua promettait justice rapide, et de respecter la dignité du peuple mongol. Dans les rues, c’était la loi martiale, sous des milliers d’agents spéciaux qui dispersaient les manifs, faisant 18 blessés et 40 arrestations dans la semaine. Vite, la famille de Mergen reçoit 560.000¥ – pretium doloris très élevé en Chine. Mille promesses sociales fleurissent: la gratuité d’écolage et de manuels pour les collèges, 680 millions $ pour l’eau potable, les transports, l’agriculture. Hohhot promet la remise en état des prairies, et le doublement du revenu rural (de 5500 à 10.000¥/an d’ici 2016). Guo Shuyun, Président du groupe patron du camion, visite la famille en deuil, pour un kowtow à 90°: Pékin réalise soudain qu’obnubilé par Tibet et Xinjiang, il a oublié l’ethnie mongole, tranquille hier, aujourd’hui hors de ses gonds…
Les défenseurs des Mongols, cependant, doutent que ces gestes répondent à la vraie blessure -comment préserver les restes de la culture mongole ? Ce territoire est peu peuplé, 24 millions d’âmes dont 6 millions de Mongols, sur 2400km d’Est en Ouest. Sa croissance est la plus rapide du pays, grâce à ses 600Mt de charbon/an (+49,2% en 2010), et à ses terres rares (1er producteur). Mais cette richesse [1] est mal partagée, offrant un luxe tapageur aux patrons, l’indigence aux autres, [2] elle cause à la prairie des dégâts terribles,
[3] elle force sa société à une mutation trop rapide, empêchant sa minorité déboussolée, de refaire ses repères, dans un modèle de croissance non durable et qu’elle n’a pas choisi.
Enfin, on se rappelle les émeutes de Lhassa (14/03/08), d’Urumqi (05/07/09), où des masses tibétaines puis ouighoures avaient tué 200 victimes (surtout Han) chaque fois. Avec les manifs mongoles présentes, la trilogie est complète, boucle bouclée, confirmant l’échec d’une politique chinoise d’intégration harmonieuse de ses minorités.
Face à ce problème, depuis des années, la Chine cherche anxieusement la porte de sortie—en vain, faute, peut-être de regarder au bon endroit. Car pour la Mongolie, Chen Jiqun, chercheur, croit avoir la seule solution praticable : rendre aux bergers la propriété de leurs terres. Un geste auquel l’État n’est pas prêt.
Sommaire N° 21