Editorial : La grande soif de l’Empire

La sécheresse au centre de la Chine prend des proportions graves.

Au 31 mai, entre Hubei, Hunan, Jiangxi, Anhui et Jiangsu, elle frappe 35 millions de villageois, 7 millions d’hectares de terroir (12%) : une telle crise naturelle n’avait plus été vue depuis les années ’60. Emblématiques d’une culture chinoise «de carpe et de riz», lacs et cours d’eau agonisent, 269 rivières à sec dans l’Anhui, des milliers de lacs, même les grands, tels Poyang (Jiangxi), Honghu (Hubei), Dongting (Hunan). Le coton végète, et les riz, blé et maïs grillent sur pied.

Certes, on ne peut parler de catastrophe, prêche le ministre de l’Agriculture optimiste, qui attend toujours une récolte d’été de 180 millions de tonnes. Les silos sont pleins, le centre ne compte que pour 5% de la récolte totale, et pour la 8e année de suite, celle d’hiver a été belle. Mais alors, pourquoi ces imports de grain tous en hausse en 2010, surtout le blé (+36%) ?

Comble de malchance, la pénurie menace d’être mondiale : aux Etats-Unis, grand fournisseur, seuls 34% du blé de printemps sont levés, contre 85% d’ordinaire – à Chicago, la bourse spécule dur !

A cette crise, le paysan accuse et voit trois causes humaines.

[1] Depuis 2006, le Barrage des 3 Gorges limite le flux vers le cours inférieur. Or le 31/05, le niveau est à 149,65m, plus qu’à 4,65m de la limite où il ne peut plus fournir : finies alors, l’irrigation et la navigation en aval.

[2] Réceptacle d’eaux usées non retraitées et d’engrais, son réservoir accumule les émissions de méthane à effet de serre, phénomène frappant tous les lacs.

[3] A 2,3¥uan/m3, l’eau chinoise reste parmi les moins chères, ce qui n’incite pas à l’économie. D’autant que l’absence de subventions durant 30 ans a empêché l’entretien des réseaux d’irrigation, qui fuient énormément.

NB: au Nord, Nord-Est, la situation n’est guère meilleure. Seule différence, ces régions semi-désertiques vivent en pompant sur leurs réserves fossiles.

Ceci réveille la vieille polémique sur cet ouvrage, imposé par l’État à partir de 1994 malgré un rare vote de défiance du tiers des députés du Parlement. Le 25/05, le Quotidien du Peuple exhume un article posthume du Prof. Huang Wanli, célèbre expert hydraulicien plaidant pour le dynamitage du barrage «tant qu’il est encore temps». D’autres dénoncent le XII. Plan hydroélectrique qui budgétise, d’ici 2016, pour 100Gw de nouveaux barrages à l’Ouest, +50% dans des zones d’une stabilité tectonique pas toujours vérifiée.

Autres signes de sécheresse: les villages forent frénétiquement de nouveaux puits, Shanghai subit l’intrusion d’eau salée (25/05) dans son 1er réservoir d’eau potable. Les prix des légumes, tels salade et chou ont augmenté entre 16 et 30% dans le mois.

On l’a déjà dit, la sécheresse en Chine, se conjugue à une pénurie d’électricité. Contrairement à 2010 où la cause était la fermeture de centrales polluantes, en 2011 elle émane du refus des cinq gros électriciens de produire, après avoir perdu 1,5 milliards$ en quatre mois, suite au refus de Pékin de les laisser répercuter les hausses de la houille.

Or l’État semble à présent jeter l’éponge -c’est rare- tolérant 3% de hausse pour la consommation des industriels de 15 provinces. Dans les faits, depuis longtemps, les provinces avaient augmenté le tarif d’achat aux électriciens, mais non ceux à la consommation, quitte à financer la différence. Quoique modeste, la hausse s’ajoutant à celles des matières 1ères et des salaires, risque de sonner le glas de bien des PME, craint Xu Hongcai, membre d’un centre de recherche pékinois.

C’est alors que, pour limiter les dégâts, l’État interdit certaines productions très polluantes et énergivores, telles les batteries à acide et à plomb et certains vélos électriques hors normes (+ de 20km/h, plus de 40kg).

Comme par un coup de baguette magique, la hausse du prix du courant faisait remonter la bourse, après 6,7% de pertes en mai, surtout les cours des géants électriciens. Cela pouvait sembler à une fin de fronde. Mais en même temps partout, les signes se multiplient de rébellion de grands groupes, contre la politique d’austérité : les charbonniers, Unilever, l’alimentaire, affûtent leurs prix d’un cran… Pas de doute, ce pays reste en pleine tourmente inflationniste et l’autoritarisme, comme instrument de lutte, ne suffit plus.

 

 

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