Ni l’industrie, ni l’Etat français, ni le chinois ne doivent être à l’aise, à l’explosion du scandale d’espionnage contre Renault-Nissan. Trois des membres de l’état-major de Renault sont débarqués, prélude à leur licenciement, dont un brillant ingénieur qui voit sa carrière brisée à 33 ans. L’affaire est glauque. Normal, vu l’enjeu immense.
«De mystérieux agresseurs ont tenté de dérober le programme électrique du groupe: 4MM² de R&D, incluant une batterie lithium-ion (développée avec le nippon NEC et le coréen LG), et la motorisation de 5 modèles de la gamme 2012. Mais pour Patrick Pélata, n°2 du groupe, aucun des presque 200 brevets en cours de dépôt n’a «fuité» (sic) – tout au plus des «données sur l’architecture des véhicules, et le modèle économique du programme». Ce qui peut expliquer la faiblesse de la paie découverte sur des comptes des accusés en Suisse et au Liechtenstein : 0,5M² à l’un, 130.000² à l’autre, c’est peu payé, à moins que les données trahies n’aient été que secondaires.
Autre bizarrerie : tandis que le pouvoir chinois n’attend pas pour récuser les scoops fracassants de la presse (criant aux «accusations irresponsables»), les indéniables victimes, Renault et Paris gardent le profil le plus bas qu’ils peuvent, adjurant le monde de cesser de «faire des suppositions» (Christine Lagarde, ministre de l’économie). Quoique d’autres comme Eric Besson, ministre de l’industrie parle de « guerre commerciale ». Ceux qui savent, se rattrapent par presse interposée, désignant un suspect, Southern State Grid, suivi de «firmes chinoises et de pays tiers ». SSG n’est pas présent dans l’automobile, mais il aurait 3 intérêts à une telle pêche à la voiture électrique :
[1] Il peut payer, étant une des firmes les plus riches de Chine, distributeur d’électricité sur 8 provinces. [2] Il est étatique, exécutant de toute politique du régime.
[3] Il détiendra surtout, avec sa maison-soeur State Grid, le monopole du «carburant» des voitures de demain.
Un « expat » du secteur nous offre un éclairage: « en ce pays en train de se réinventer, certains secteurs comme l’auto voient leurs fortes ambitions freinées par un manque d’expertise. Pour avancer, ils sont prêts à tout : acheter, ou ’emprunter’ ce qui leur manque. Même les groupes étrangers implantés en Chine avec des alliés locaux sont vulnérables, vu la rivalité sans pitié entre industries chinoises». Ce même témoin suggère pourtant d’éviter de diaboliser la Chine : de tels vols arrivent régulièrement ailleurs dans le monde, «quoiqu’à une échelle moindre».
Le 13/01, Renault dépose plainte- «contre X»: soit par absence de preuve, soit par raison commerciale. Ceci per-met d’enterrer le dossier dans un tribunal, gommant pour le groupe et pour la France les risques de dérapage international.
NB: dès la veille, Pékin dévoilait une politique novatrice contre le piratage. Trois ans de prison attendent les vendeurs de faux CD et les pirates de la toile. Une définition juridique du piratage a été émise, et le grand nettoyage est engagé avec 4000 faussaires de propriété intellectuelle arrêtés en deux mois, pour un butin global de 260M². Le message est clair : la Chine veut gagner la confiance du monde industriel. Mais pour ce faire, elle devra faire un pas de plus et réévaluer ses pratiques. Car outre le piratage, c’est l’espionnage industriel par l’Etat, sur l’étranger, qu’il faut endiguer ici !
Sommaire N° 2