En matière de lutte anti-tabac, les militants de la santé se trouvent aux prises avec une coalition d’industriels tabagistes et de fonctionnaires aveuglés par la manne fiscale.
Dim.9/01 était une date spéciale. Au terme de la Convention Cadre sur le Contrôle du Tabac de l’OMS ratifiée par Pékin en 2003, la Chine aurait dû faire interdire de fumer dans les lieux publics. Mais la date passa sans nulle annonce de ce genre. Pire, 4 jours avant, aucun des 8 ministères concernés n’étaient présents à la lecture par Yang Gonghuan, directrice du Bureau de lutte anti-tabac, d’un rapport dramatique co-rédigé par 60 scientifiques chinois et étrangers. Depuis 2005, 1,2millions/an de Chinois meurent du tabac, qui seront 3,5 millions d’ici 2030, si rien n’est fait, selon elle.
En plus du ban du tabac en lieux publics, l’État a failli à d’autres obligations de la convention, telle celle d’informer le consommateur. Les alertes de santé sur les paquets ne sont voyantes. L’interdit de publicité dans les médias est contourné par la pub indirecte, très efficace. Ainsi selon une association tabacophobe, 75% des films en cinémas montrent en moyenne 15 scènes de fumerie, 95% des séries TV montrent 85 scènes. Objectif atteint : 30 à 60% des jeunes (selon tranche d’âge) trouvent la cigarette très «glamour» et n’attendent que l’occasion de débuter. 300 millions de Chinois fument, un quart de la population, 60% des hommes, et les femmes s’y mettent, croyant y voir un geste d’émancipation: « c’est le remake des années ’40 aux USA», commente Zhao Bin, n°2 de la Fondation nationale du cancer.
Au sein même de l’Etat, une guerre sournoise se pour—suit. Le ministère de la santé a obtenu dès juin 2010, l’interdiction de fumer dans les écoles et lycées, et pour fin 2011 dans les hôpitaux. Il a fait augmenter 4 fois la taxation en 20 ans, aujourd’hui à 36% voire 56% selon la gamme. Mais à 5¥ le paquet moyen, la cigarette chinoise demeure parmi les moins chères. Il ne peut guère faire plus : les mesures de répression de la tabagie sont du ressort du MIIT (Ministère des Industries et des technologies de l’Information), qui est aussi tutelle du Monopole du Tabac, logeant ainsi le loup et l’agneau dans la même bergerie.
Le Monopole s’appuie sur les 10millions d’emplois de paysans et d’ouvriers du tabac, précieux dans des provinces telles le Yunnan, et sur les 510MMY de taxes récoltées en 2009, (plus de 600 en 2010). En 2011, il poursuit sa campagne agressive de plantation et de construction d’usines, prétendant « porter la production à un nouveau niveau ».
Face à la recette fiscale (« 7.5% des revenus de l’Etat»), l’argument des anti-tabac selon qui, depuis 2002, le tabac coûte plus en morts que ses gains à court terme, ne porte pas. En terme de soins du cancer et de perte salariale des familles privées de leur gagne-pain, le coût social du tabac était de 62MMYuan l’an dernier. « L’Etat réalise qu’il a un problème », résume Zhao, « mais il n’a pas encore pleine conscience des implications à long terme ».
Heureusement, la presse a relayé ce message que les tabagistes étouffaient jusqu’à ce jour. Le groupement des anti-tabac réclame d’urgence un plan national à inscrire au XII. Plan (avant mars, date de son adoption). Quel pays accepterait de perdre 3,5millions de soutiens de famille/an, avec les milliards qui s’y rattachent en salaires et en chance d’éducation pour leurs enfants ? La Chine qui vit en accéléré les phases de croissance des pays riches, semble sur le point de s’éveiller et à se lancer dans la lutte.
Sommaire N° 2