Petit Peuple : Yangzhong : victoire sur l’oeuf qui tue !

Le poisson-globe qui hante les estuaires de Chine, a hérité de la gloire douteuse d’être sacré le «2d plus venimeux  vertébré de la Terre», en raison du poison dans son foie et dans ses oeufs  – 200 fois plus virulent que le cyanure. Au demeurant, en soupe ou en sashimi, sa chair bien préparée, est considérée dans toute l’Asie une délicatesse rare: le gastronome nippon comme le chinois, un rien macho, adore le rodéo d’une cuisine périlleuse, combinant l’épreuve du palais à celle de la mort.

A Yangzhong (Jiangsu), à 58 ans, le restaurateur Zhou Changshun s’enorgueillit d’avoir découvert comment désactiver le venin des oeufs du poisson globe.

Tout débuta en ’82, suite à un drame. Dans Yangzhong, le patron d’une jonque avait trouvé sur le quai un paquet de cette laitance abandonné par un pêcheur négligent. L’avait  remise à sa femme qui en avait régalé tout le monde à bord: envoyant ainsi ad patrès  4 des 6 parents. Ce cas avait traumatisé Zhou, qui connaissait la famille. A force de rabâcher l’affaire, il s’était rappelé comment son père, pêcheur de son état, détoxifiait l’oeuf délétère : dans la chaux vive 12 mois, à la façon des oeufs de 100 ans. Mais n’y avait-il pas meilleur moyen de faire, plus élégant?

Chez un ami à Shanghai, il tomba sur le Bencaogangmu, bible des médecins compilée par Li Shizhen (époque Ming). Avidement, il compulsa l’ouvrage génial de soins par les plantes, en quête d’une antidote à la tétrodotoxine, ce terrible venin.

De retour à Yangzhong, il se mit en piste, préparant des décoctions et bouillies vertes, dévalisant les pharmacies, les tiroirs aux senteurs mystérieuses. Jour et nuit, il étudiait le texte abscons, extrapolait, tentait  des variantes, contactait les chimistes, interpellait les biologistes. Téléphonait. Surfait. Faxait. Voyageait. Arpentait les monts. Macérait, infusait des précipités, qu’il faisait sauter avec les oeufs tueurs. Puis il donnait la funeste pâtée à des chats et poulets. Lesquels crevaient immuablement l’un après l’autre. Dans ses carnets, imperturbable, l’apprenti sorcier consignait chaque échec. Jusqu’à ce 25/05/88 où le 867ème poulet, gavé, continua à caqueter des heures durant comme si de rien était : pas de doute, à 37 ans, notre chercheur «en herbes» avait enfin trouvé la parade à ce fléau de l’humanité!

Il fallut 2 ans pour franchir l’étape suivante. Passant outre les supplications de sa femme éplorée, il se fit son propre cobaye, avalant du bout des lèvres 1 gr. d’oeufs qui lui causèrent dans l’instant les 1ers symptômes (langue insensible, vertiges): vite, il but son verre d’antidote et réchappa. Puis en 4 ans, il ingéra 20 doses toujours plus fortes avec pour résultat dès 1994, d’être acclimaté, pouvant consommer à satiété le caviar assassin, sans effets négatifs ni contrepoison.

Il lui fallut encore 10 ans pour oser inscrire ce plat au menu de son restaurant (à titre gratuit), puis quelques mois pour trouver son 1er client—un autrichien- qui consomma, et survécut, preuve par neuf. Après ce haut fait, son restaurant rebaptisé « Poisson globe de Yangzhong », accéda à la célébrité mondiale.

En’06 à la TV tokyoïte, une démonstration fit sensation. Pressentant la mine d’or, un chef nippon offrit 20.000$ pour la recette. Mais Zhou ne fit qu’en rire, d’un rire teinté de mépris. Même à «tout l’or du monde», la re-cette n’était pas à vendre. Que ce soit par animosité antinippone – encore assez courante en Chine – ou par fierté d’un auteur refusant de se séparer de son «bébé». Aujourd’hui, même son fils ne connaît pas la formule – Changshun craignant que ce dernier ne l’évente, sous l’effet de la boisson. Seul le BIPO, Bureau de la propriété intellectuelle en dispose, dans l’attente du dépôt du brevet.

Que voulez-vous, ce n’est pas si facile, de dévoiler « une épée qu’on a forgée durant 10 ans », 十年磨一剑shí nián mó yī jiàn, un bouquet de fleurs du mal que l’on a mis tant de temps et d’efforts douloureux à conquérir !

 

 

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