En Chine comme ailleurs, le climat social suit souvent celui des saisons : à Pâques, 复活节 (Fuhuojie), le pays se débat sous une sécheresse, tension autant climatique que sociale et politique. L’aridité frappe autant les campagnes que la croissance. Dans les deux cas, la Chine doit se préparer pour passer au développement durable, et mettre en harmonie sa production, ses besoins, et les ressources de la Terre.
Manquent à la fois l’eau pour les cultures, les crédits et le sol pour l’immobilier, les ouvriers, l’énergie, les matières 1ères et même le marché (local et d’export) pour l’industrie. Face au défi géant, l’État lance (18/04) sa plus forte offensive depuis 2005 pour aider l’économie à franchir le grand tournant sans casse, juguler l’inflation (5,4% en mars) et relancer la consommation.
Yang Zhiming, Vice-ministre du travail édicte (18/04) une hausse moyenne des salaires de 15%/an (100% d’ici 2015), sans oublier les bas salaires (13%/an aux salaires min.). Puis le bureau de l’ANP discute (21-23/04) le nouveau salaire imposable à 3000¥, proposé par le Conseil d’Etat : il aurait réduit de 50M la cohorte des imposables, à 12%. Mais en une fronde rarissime, l’ANP repousse sa décision à juin : trop timide, la mesure n’aurait fait, par rapport au coût de la vie dans les grandes villes, que compenser (très provisoirement) l’inflation et remettre à les pendules à l’heure de 5 ans en arrière.
Pour casser l’inflation (5,3% en mars), l’État veut drainer le marais du crédit, distribué sans compter depuis 2009 aux provinces sous forme de stimulus : le 18 avril, arrive la 4ème hausse des réserves bancaires (0,5%) – mais comme 50% des fonds en ce pays circulent hors banques, l’efficacité semble aléatoire.
Autre front de l’inflation, l’immobilier : depuis mars, Pékin tente de contrôler l’octroi et les prix des terres à bâtir. On voit les débuts d’un cadastre national en ligne, devant relayer ceux des provinces pour permettre dès 2015 d’éplucher les transactions et prévenir les confiscations abusives. Mais des experts, tel Niu Fengrui, de la CASS (Académie des sciences sociales) doutent de la capacité de l’outil à enrayer les dérives: les cadres contournent le système en mettant à prix gonflés les terres aux enchères publiques. Idem, l’ANP discute d’une loi contre les violences des «chengguan», agents municipaux chargés des évictions. Mais les chances que l’assemblée l’adopte sont diaphanes : à travers leurs membres, les provinces tiennent le Parlement. Et pourtant, le rythme des spoliations s’emballe: les contrôles de l’an 2010 ont dévoilé 34200 cas, et 50.000 ha confisqués. De ces surfaces, seules 20% furent récupérées : en taxes et en amendes, les cadres et notables fraudeurs ont payé 18 milliards de ¥ —mais gardé leur butin.
En ce climat trouble, la bataille de l’inflation n’est donc pas gagnée. Certes, les cours des denrées se tiennent et à Pékin et Shanghai, les ventes de biens baissent en argent de 50%, en nombre de 66% : Président de Soho China, Pan Shiyi voit déjà les promoteurs baisser leurs prix sous «2 à 3 mois», une fois leurs réserves financières épuisées. Mais Jiang Yunfeng, chef de l’Institut de recherche CIA voit au contraire les prix remonter, avec la raréfaction des sols, face à la soif générale d’accès à la propriété.
La crise déstabilise et crée des tensions: faillites dans le privé (telle celle de Zhejiang Glass, 7MM¥ de dettes) ; contrefaçon qui explose (43000 plaintes en 2010, +40%), en même temps que les tentatives d’extorsion d’administrations sur les firmes. L’appareil perd en tolérance, vis-à-vis des Églises notamment: celle lamaïste, avec l’interdit de sortie pour les 2500 moines du monastère de Kirti (Sichuan), celle catholique (irritée par l’ordination d’un évêque apostat), celle protestante – la paroisse de Shouwang en lutte, après son interdiction de réunion… Bon temps pour l’État pour manier la prudence et plus que jamais, selon l’ex-pression de Deng Xiaoping « traverser la rivière en tâtant les pierres » !
Mais justement, les temps ont changé. Aujourd’hui, le gué est inondé par l’eau de 1000 conflits sociaux et vieilles contradictions accumulées, empêchant le pouvoir de sonder. Ne lui laissant que le choix de s’arrêter, ou de passer à l’aveugle. Et ce n’est pas son moindre paradoxe, de donner l’impression de chercher à faire les deux à la fois: bloquant sur les réformes, et multipliant les exutoires technocratiques à la poursuite d’une re-prise de la consommation. Ce qui ressemble à un mirage qui, comme chacun sait, recule devant vos pas, avant de s’évanouir en plein désert !
Sommaire N° 15