Petit Peuple : Liulou : la fillette disparue

A l’automne 1989 à Liulou, (Henan) la mort dans l’âme, Liu Shouyuan, fermier de 48 ans, et sa femme, durent se résigner à abandonner leur fille de sept semaines. Faute de pouvoir la nourrir, ils la confièrent à la commune populaire, qui la plaça dans un autre foyer, une autre ville. A cette décision terrible, il n’y avait pas de retour en arrière, ils le savaient. En ces temps là, la misère régnait toujours, nul n’aidait quiconque. Les temps étaient simplement trop durs.

La vie continua, bon an mal an. Plutôt mal an, en ce Henan, qui était (et demeure) bien trop peuplé pour être à l’aise, avec ses 100 millions d’êtres à nourrir, vêtir, loger et employer.

 Dahe, le journal qui relate l’épisode omet malheureusement de préciser, si dans la décision de Liu et de sa femme, s’était mêlé le calcul d’obtenir, du point de vue du planning familial, le droit de concevoir un second enfant, un garçon cette fois. En effet l’héritier préféré des foyers paysans, avec ses muscles de fer leur permettent de bien labourer et bien nourrir les parents en leurs vieux jours. Quelle que soit la motivation de Liu Shouyuan et de son épouse, leur décision, fille de nécessité, avait ouvert une blessure jamais refermée, sentiment d’une perte irréparable.

Au fil des 2 décennies qui suivirent, ils avaient cultivé leur lopin, vendu leurs récoltes, fait un peu d’élevage en complément, acquis la télévision (d’occasion), un réfrigérateur, un petit tracteur et l’équipement de base pour ses vaches à lait, mais jamais Liu n’avait oublié sa fille abandonnée. Pas une semaine ne se passait, sans ce souvenir de culpabilité et d’absence lancinante. D’autant qu’ils étaient finalement restés sans autre héritier : le petit dragon tant attendu n’était jamais venu.

Et puis voilà qu’en mars, sa femme décède, à l’aube de ses 70 ans – il en a 71. Au village, les affaires matrimoniales se gèrent au sein du clan, au conseil des anciens qui veille à reconstituer les foyers aussitôt qu’ils se brisent, et à consolider un tissu rural déchiré par l’exode. Sans retard, les funérailles furent suivies d’un remariage de Liu, avec Zhang Qiuxiang, veuve que lui avait présenté un entremetteur.

Il se passa peu de jours, avant que Zhang, épanouie de cette union inespérée, lise l’ombre d’un souci au visage du mari, lui demandant la source. Après plusieurs assauts, Liu finit par avouer ce qui le hantait, le fantôme de sa fillette. Sans retard, désireuse de prouver sa bonté et sa capacité d’épouse fidèle, Zhang lui promit de l’aider à retrouver la disparue.

Mais l’aveu du mari la plongea en un trouble où se mêlaient des émotions fortes et l’intuition d’un souvenir sous roche, proche et inaccessible. Elle-même avait une fille adoptée, du même âge -22 ans- que la disparue. Le patronyme (celui d’avant l’adoption) Liu Qiuhuan était celui de son nouveau mari. Se pouvait-il que…par incroyable miracle …?

Depuis belle lurette, Liu avait oublié le prénom choisi avec sa femme pour ce bébé. Tout ce dont il se souvenait, était que le nourrisson portait à hauteur du bassin une tâche de vin, couleur bleu-vert…

Et là, ce fut la preuve ultime: Fuge (nom post-adoption de la jeune fille) portait la marque, même couleur, à l’endroit attendu : en épousant la mère, Liu avait donc récupéré sa fille. C’était une belle illustration de l’adage selon lequel « en définitive, le ciel ne fait pas obstacle à votre destin » (天无绝人之路, tiānwú juérén zhīlù).

Quoique souvent athée, la Chine superstitieuse raffole de ces coups de tonnerre tombant du ciel pour changer le cours de la vie des hommes.

Mais à ce qu’il nous semble, derrière ces coups de baguette magique agit moins un lourd jugement des Dieux, qu’un clin d’oeil plaisantin des forces de l’au-delà. Comme une plaisanterie céleste faite pour adoucir les duretés de l’existence : comme un sourire du ciel, par lequel la misère devient moins pénible au soleil.

 

 

 

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