A la loupe : Coup de noroît sur Pékin

«J’aime l’avenir», retapaient inlassablement la semaine passée sur leur clavier, des milliers d’internautes: mot que des centaines de censeurs n’en effaçaient pas moins frénétiquement: «Ai weilai» (爱未来) est un code pour Ai Weiwei (艾未未), le fantasque et talentueux artiste dissident, arrêté, dimanche 03/04, en embarquant pour Hong Kong.

Cette arrestation a frappé de stupeur la Chine et l’étranger. A 53 ans, le co-auteur du «nid d’oiseau» (stade Olympique) passait pour protégé en haut lieu, et ne perdait jamais une occasion de parler clair, souvent critique envers le régime. Par le passé, ce dernier avait fait raser son studio shanghaïen à 1M$, l’avait assigné plusieurs fois à résidence. Ai avait aussi subi une attaque de nervis (Chengdu), nécessitant des soins au cerveau en Allemagne -pays où il comptait s’installer. L’interpellation du 03 fut suivie d’une perquisition (30 PC emportés), et d’interrogatoires de sa maisonnée (un assistant reste comme lui incarcéré).

Pourquoi ? Apparemment pas pour des raisons liées au printemps du jasmin, dont il se tenait à l’écart. Pour les «China Watchers», il s’agit d’un signal donné au plus haut niveau, que nul ne sera plus à l’abri, et nul manque de respect ne sera toléré. C’est un tournant dans la campagne sécuritaire forte à laquelle on assiste depuis le début de l’année, suite aux événements du monde arabe.

Au terme de la loi, l’État a 30 jours pour traduire Ai en justice. Mais une 1ère irrégularité était constatée, l’arrestation n’ayant pas été notifiée sous 24h. Les reproches ont commencé à filtrer au Global Times 3 jours après (6/04) : un délit d’«excentricité», Ai aimant « faire ce que d’autres n’osent pas». Puis le lendemain, on s’acheminait vers le crime économique, sans précision.

Après l’arrestation, un nombre de nations et voix étrangères ont réclamé avec force son élargissement immédiat, dont France, Allemagne, Union Européenne, Grande Bretagne, USA… Comme pour Liu Xiaobo, condamné à 10 ans, puis nommé (déc. 2010) Prix Nobel de la Paix, l’arrestation d’Ai ne fera que prêter de la stature internationale à l’artiste, qui s’efforçait à travers son travail audiovisuel de laisser une trace du monde où il vit et où il ressent l’injustice – en 2009, il avait dressé un fichier indépendant de 5000 écoliers décédés lors du tremblement de terre du Sichuan, puis créé une installation hors de Chine, sur base de cartables.

Détail révélateur d’un souci d’atténuer l’effet de la nou-velle : Wu Yuren, autre artiste emprisonné depuis des mois, était libéré sans jugement, à quelques heures de l’arrestation de Ai Weiwei… Méthode familière de « faire le vide, avant de refaire le plein».

On le notera, la campagne est loin de se limiter au cas de Ai Weiwei. Selon J. Rozenzweig (fondation Duihua, HK) en 15 jours, pas moins de 100 artistes ou intellectuels auraient été arrêtés par des autorités ayant fait le «choix délibéré de sacrifier l’État de droit», qui est pourtant un effort ancien et un objectif à long terme. A Pékin, le 03/04, l’église protestante Shouwang réunissait ses 1000 fidèles pour la dernière fois en son site désormais banni. Ce mê-me jour à Shanghai, la police embarquait les 60 clients du «Q-bar», mettant ainsi un terme à des années de tolérance envers les homosexuels.

Enfin dans les écoles redémarrent des campagnes de rectification : «culture rouge» à Chongqing, refus de bourses, de cartes du Parti pour tout étudiant buvant en public à Jiaotong (Jiangxi), surveillance annoncée à Beida (Pékin) pour 10 types de jeunes «fragiles», «excentriques» ou «radicaux»… Clairement, une campagne ultraconservatrice déploie ses ailes.

 

 

 

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