Petit Peuple : Ningbo : Xilige ou la beauté du diable !

La beauté n’est jamais si belle, que pimentée d’un zeste d’inquiétant. Tout débuta le 21 février 2010 à Ningbo (Zhejiang): un internaute publia la photo du « passant le plus beau du monde ». L’inconnu avait fière allure, avec sa coiffure genre japonais très mode, son rasage à la Gainsbourg, un long manteau et dessous, une ceinture écarlate pouvant révéler l’appartenance au signe du tigre, celui de l’année. D’ordinaire en Chine, on cache ce genre de détail. En plus d’être beau, Xilige («frère au regard perçant», sobriquet dont il fut instantanément affublé) était aussi brave !

Coqueluche de la toile, Xilige vit sa photo squattée par les revues de mode et les pubs. Une chasse à l’homme virtuelle s’engagea, et des patrouilles de volontaires ratissèrent Ningbo pour mettre la main sur lui. Bientôt, une caméra de télévision le rattrapa : mais à la stupéfaction de l’équipe, l’homme se mit à hurler comme un enfant. On vit alors qu’à force d’errances, sa raison n’allait plus qu’en pointillés. Connu, tel le loup blanc des services sociaux, ceux-ci avaient fermé les yeux sur lui jusqu’alors. Mais à présent, sous la pression brûlante de l’opinion, ils ne purent faire moins que l’expédier à l’hospice, permettant ensuite de retrouver sa famille. Découverte qui mit de l’huile sur le feu de la passion collective, en «dissipant la brume sur le mont Lu» (庐山真面目lú shān zhēn miàn mù).

Natif de Boyang (Jiangxi), Xilige, de son vrai nom Chen Guorong, avait quitté sa famille à 23 ans en 1999, suite à un drame de la route qui l’avait privé de son père et de son épouse, le laissant père de deux bébés. Pour gagner leur pitance, il avait donc confié les orphelins à sa mère et à son frère cadet, et était parti travailler en ville, où presque tout de suite, il avait disparu. Incapables de le retrouver, dépassés par les événements, les siens avaient fini par le compter pour mort.

En réalité, Chen avait perdu la mémoire. Quel avait été le ressort de son implacable amnésie ? Le chagrin du veuvage, l’alcool, la drogue, un accident ? On ne le saura jamais. SDF, il vivait comme un grand enfant dans la jungle urbaine.

Sur cette vie naïf et libre, un internaute au pseudo charmant «Vieux chat gourmand» relate l’avoir croisé à maintes reprises, et lui avoir donné un jour 10 ¥ pour ses besoins. Il le vit se ruer au «xiaomaibu» (petit magasin) mais au lieu d’en revenir avec un bol de nouilles déshydratées, il brandissait fièrement un paquet de cigarettes. Vieux chat gourmand lui avait demandé de s’expliquer D’un geste du doigt vers un fût rouillé et tordu, Xilige lui avait tacitement répondu qu’il se nourrissait d’ordures, et que ses seuls besoins non comblés étaient le tabac. Parfois, poursuit «vieux chat», il se travestissait «comme pour remplacer l’absence de femme», jouant tour à tour son rôle et celui de l’épouse.

Ce qui, au fond, décrit une existence précaire et végétative, mais pas si malheureuse, affranchi de toute contrainte sociale, bel objet humain protégé par tous pour son regard comme de l’eau de roche, son éclatante liberté vestimentaire et sa beauté à couper le souffle.

Quoiqu’il en soit, il suffit que sa mère et son frère se présentent à l’hospice (4/03) pour que Xilige bondisse dans leurs bras. La presse filma les retrouvailles et ce bonheur si rare. Les mouchoirs épongèrent les larmes nationales. Les dons affluèrent. Flairant le coup de pub, une maison de Shunde (Canton) le prit comme mannequin, puis lança 8 mois plus tard une ligne d’habits, vestes, gilets et pantalons créatifs à son nom.

Xilige, depuis, se repose et attend la disparition des séquelles de son odyssée. Guéri de sa rage de vadrouille, il ne réclame plus aujourd’hui que le droit de vivre « comme tout le monde », et pour commencer, celui de reprendre femme. Comme si, de retour parmi les vivants, il voulait décoller de sa peau cette beauté du diable. Mais est-ce possible ?

Si nous l’apprenons, nous vous le dirons, promis !

 

 

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