Petit Peuple : Dalian – une aventure d’agronomes en herbe

Chez la jeunesse chinoise plus que chez toute autre, les jeux virtuels font des ravages et gagnent chaque année des millions d’accros irréductibles. A la base, il y a le désarroi fondateur de toute adolescence, la quête du moi profond et de sa voie d’avenir. Pour se trouver et se dépasser, les jeunes cherchent à échanger entre eux sous pseudo, sans risque, fuyant un monde terne, stérilisé par la promiscuité des mégapoles, l’autoritarisme bien pensant d’une société harmonieuse.

C’est ce terreau mental qui déclancha l’aventure de deux jeunes migrants à Dalian, dans le Liaoning. En 2010, Zhao Chang et Tang Hong s’étaient lancés dans «happy farming», jeu en ligne, qui leur rendait le monde rural qu’ils venaient de quitter, et dont ils se languissaient quelque part.

Mais ce que ce jeu offrait était bien mieux que leur pauvre hameau d’enfance. Ultra mécanisée à travers de grasses plaines étirées à l’in-fini, son agriculture les promouvait au rang d’agronomes et d’investisseurs. Aux manettes d’engins rutilants bourrésad’électronique, Zhao et Tang labouraient et semaient, irriguaient et traitaient, faisaient des rondes pour se protéger des rapines des voisins. Par camions entiers, ils vendaient leurs récoltes sur les marchés à terme et réinvestissaient en machines ou parcelles, arrondissant leurs domaines…

Voisins, Zhao et Tang étaient les meilleurs amis. Au début, ils laissaient ouvertes les portes et à travers le palier, se criaient les trucs qu’ils découvraient, une grêle proche, tel blé à haut rendement. Tous les soirs après le turbin, ils jouaient. Ils avaient conclu un bizarre pacte de non-agression: de ne pas se voler leur grain. Moyennant quoi ils s’étaient échangés leurs comptes et codes d’accès.

Advint la Fête Nationale : durant 3 jours et 3 nuits, ce fut une débauche de culture non stop, avec leurs écrans pour champs et leurs souris pour tracteurs. Et c’est là que tout craqua, entre ces jeunes en fait si différents. Autant Zhao était calme, posé et sainement sceptique envers l’univers, autant Tang était impulsif et nerveux, avide, tombant dans tous les panneaux par impatience. Zhao réussissait grâce à son caractère minutieux et désintéressé aux résultats. Tang perdait en brusquant les choses comme si sa vie en dépendait. De la sorte, au bout des 3 jours, les gerbes de Zhao étaient lourdes de blé splendide, mais les épis de Tang jaunissaient, dépérissaient.

Porte fermée, mauvais perdant, Tang grommelait contre l’injustice du ciel : il faudrait se faire justice soi-même, et récupérer chez Zhao «sa» récolte… Et comme ce fourbe s’obstinait à rester en ligne jour et nuit, il faudrait passer aux grands moyens :

Au 4ème jour à 5h du mat’, sur le palier à pas de loup, il coupa le courant de l’insolent. Puis retournant en hâte à son ordinateur, il lui faucha 10 quintaux – le tiers de sa récolte, max. autorisé par 24h. Le lendemain, il refit la manoeuvre. Au 6ème jour à l’aube, il allait enfourcher le reste, achevant ainsi sa «réappropriation populaire», quand il fut cloué sur place devant le disjoncteur par la voix moqueuse dans son dos : « et qu’est-ce que tu crois que tu vas faire ? »

La suite aurait pu virer au pugilat, dans la haine ardente que libèrent les trahisons. Zhao arborant un sourire d’une gentillesse improbable, face à un Tang désespéré, le dos au mur. Mais il n’en fut rien. Très classe, Zhao se borna à lui remontrer qu’il avait failli à trois reprises griller sa carte-mère. Le reste, il s’en f..tait : ces 20 quintaux détournés, n’existaient que dans sa tête (à Tang). Seule l’amitié comptait, et comme le sel aux bêtes, elle était vitale aux hommes. «Allez, on oublie ça! », conclut-il, en tendant la main.

Main que l’autre, ravalant sa honte et ses larmes, sut saisir avec gratitude, tout en se promettant de jouer moins à l’avenir, et de retenir la leçon jusqu’à la fin de ses jours, « même quand il n’aurait plus de dents » – 没齿不忘 – (mò chǐ bú wàng).

 

 

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