Editorial : Chine-Japon – Fonte de réacteurs, dégel des relations ?

La  catastrophe  qu’affronte le Japon marque un virage  dans l’histoire mondiale. En terrorisant l’archipel, voire l’Asie entière, par leurs dégâts, le séisme de force 9, le tsunami, puis la fonte partielle de quatre réacteurs nucléaires, compromettent l’espoir mondial fondé sur une filière énergétique non carbonique – seule chance dans  l’état actuel des connaissances humaines, d’enrayer le réchauffement climatique. Plébiscitée comme énergie future, le nucléaire est un concept central de la mondialisation, qui doit à présent être révisé partout – y- compris en Chine.

D’ici 2016, la Chine veut bâtir 27 réacteurs de 1Gw, 40% du parc mondial neuf. En 2020, elle prévoit 70Gw (7x le parc actuel) et 100 réacteurs. Jamais un pays n’aura autant bâti, si vite ni en encourant de tels risques.

1er risque, le séisme: sur les 443 réacteurs sur Terre, 20% sont en zones sismiques d’activité significative (selon l’AIEA l’Agence Internationale de l’Energie Atomique). Mais les études de géomorphologie furent-elles faites sous de vraies normes de sécurité ? Curieusement, c’est d’un autre secteur, l’hydroélectricité que surgit le doute. Après le séisme de 2008 au Sichuan (87000 morts), des savants chinois et américains envisagèrent comme cause, le poids des 320Mt d’ eau du réservoir de Zipingpu construit quatre ans plus tôt sur une faille à 5.5 km de l’épicentre. Soupçon bientôt censuré, mais non dissipé. On le voit donc, non seulement les centrales nucléaires mais aussi hydroélectriques sont à risque. Or, le XII. Plan prévoit des dizaines de barrages, pour 140Gw de capacité – le double du parc total des USA…

2ème risque, la malfaçon. On imagine le désastre, si un tel accident était advenu en Chine sur un réacteur en mauvais béton ? L’hypothèse n’est pas absurde : la consolidation de milliers de barrages «de tofou» coûte ces dernières années des milliards de US$, et dans le réservoir des 3 Gorges et du Canal  Sud-Nord , l’échec apparent du retraitement des eaux causent toujours plus de soucis au pouvoir. Aussi suite aux accidents de Fukushima, Pékin impose (16/03) un moratoire sur les réacteurs nouveaux et fait réinspecter ses chantiers. Mais pas question de faire marche arrière sur les constructions. Xie Zhenhua (ministre de l’environnement), Liu Tienan (patron de l’Admin. Nationale de l’Énergie), promettent de tirer les leçons de l’affaire, mais rien d’autre. La Chine peut encore se permettre d’ignorer l’opinion dans ses projets d’équipement. En cas d’impopularité croissante du nucléaire sur son sol, il faudrait prévoir qu’elle accélère encore le programme, plutôt que de l’abandonner.

Cela dit, deux acteurs pourraient trouver dans cette crise des chances imprévues. Le 1er est le binôme français Areva-EDF. Avec la filière Mitsubishi-Westinghouse, il partage la même famille des réacteurs à eau légère, mais son outil offre l’avantage d’un  double circuit d’eau : 2de chance face à une catastrophe naturelle, de prévenir la fonte du coeur nucléaire, ce qui est un atout sur la technologie américaine, désormais affligée d’un terrible ratage.

Le 2d bénéficiaire pourrait être la relation sino-japonaise. On remarque un revirement de la Chine, troquant la critique acerbe pour la compassion et la solidarité. Après avoir dépêché 15 secouristes, le ministre chinois de la défense propose «les moyens nécessaires». La presse (jamais vraiment spontanée sur le Japon, sujet sensible) décrit un élu «fondant en larmes » suite au malheur du voisin nippon et enchaîne les éloges sur la discipline impeccable de la population et des secours, forçant l’admiration !

A ce revirement, deux raisons s’imaginent. Pékin pourrait vouloir prouver un genre de « supériorité morale » – sa capacité à rétablir des relations normales en passant enfin l’éponge sur le massacre de Nankin de 1937, quoique Tokyo ne s’en soit jamais excusé de façon acceptable. Et surtout, il sait bien qu’il aurait bien du mal à survivre à la disparition de son principal bailleur de technologie. Le rejet de l’autre était un jeu stalinien (vieux truc). Mais la croissance, et la protection de ceux qui la pourvoient, c’est une autre chose, et elle est sacrée : au moment du drame, au pied du mur, on ne joue plus. 

 

 

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