La faim est mauvaise conseillère, dit-on. Sans doute vrai, mais plus encore l’est le regard jaloux du potache miséreux sur l’Ipad du voisin, son blouson en daim, son jeans élimé mode, face au sien dont les trous ne sont que trop réels, comme sa crasse accumulée faute de pouvoir se payer le lavage. Quand à s’offrir un verre ou un dîner avec une copine, en pareille dèche, cela relève du fantasme pur et simple !
Tel était le sort de Lin Dan, fils de paysans à Longquan (Zhejiang). A l’automne 1993, la joie d’entrer en fac à Hangzhou, suite à 9 ans d’indicibles sacrifices, avait été vite effacée par le retour de la misère, vieille compagne. Sur le campus, loin des parents et de leurs sages conseils, Lin avait succombé à la tentation anarchiste de la «réappropriation populaire» -excuse pour le vol. Au copain pas sur ses gardes, il piquait un ticket-repas, puis de fil en aiguille, la bourse…
Au fil des ans la drogue du chapardage le dévora. Après tout, ces vélos, tél. portables ou PC de tous ces fils à papa, avaient d’abord été pris au peuple, qui les avait payés à la sueur de son front. Les leur reprendre n’était que justice, non ? Et c’est ainsi qu’en 1996, les vigiles, en chasse d’un pickpocket aussi audacieux qu’insaisissable, finirent par le pincer la main dans le sac.
La justice chinoise n’a jamais été tendre pour ce genre d’enfant perdu. On lui colla sur le dos 30 cas de vols qualifiés : radié de l’université, il se retrouva un beau soir, avec un verdict de perpétuité !
Derrière les hauts et sombres murs du pénitencier provincial n°1, à Quzhou, à 240 km de Hangzhou, et de ses lumières perdues à jamais, Lin Dan s’abandonna tout d’abord au désespoir de sa vie gâchée, tout en rabâchant « et je m’en vais au vent mauvais qui m’emporte /de çà de là/pareil à la feuille morte».
C’est seulement alors qu’il recommença à entendre sa conscience venant l’aiguillonner vers le droit chemin. Aux petites heures, il réalisa sa mauvaise foi passée, ce maudit aveuglement qui lui avait fait préférer «se cacher le mal par peur du remède» (讳疾忌医 huì jí jì yī)…
Il fut sauvé, dit le Journal du Soir de Qianjiang, par l’éducation nationale qui ouvrit alors aux taulards l’accès aux examens, tout en assortissant tout diplôme d’une remise de peine.
En pleine convalescence morale, perdu et incertain, Lin Dan mit deux ans à sauter le pas. En 1998, il s’inscrivit, une fois décidé, il mit autant de ferveur à reprendre ses études, qu’il avait eu de rage à dépouiller les autres, puis à s’autodétruire. Il était temps de leur montrer à tous qu’il n’était plus le vaurien qu’ils croyaient.
De la sorte, après quatre semestres, il avait acquis 5 unités de valeur, dont un fabuleux 97 sur 100 en techniques publicitaires, 2d score provincial. Jour et nuit, il dévora ses polycopiés, insensible aux lazzis des détenus qui, par dérision, ne l’appelaient plus que sous le vocable de «vieux Confucius». Les rares sous qu’il gagnait dans les ateliers de la prison, il les plaçait dans des livres, dédaignant le tabac que grillaient les autres.
Faut-il le préciser? Depuis son retour aux études, Lin Lan respectait à 100% la discipline carcérale. Cela, plus ses diplômes à la file, lui valurent dès 2007 une formidable remise de peine, de la perpète à 14 ans. Ainsi, à une aube d’avril 2010, il se retrouva seul sur le terre-plein à la porte du pénitencier avec, dans sa valisette, ses 102 crédits, ses 4 diplômes complets en marketing, pub, littérature et psychologie et son contrat offert par une boite de Hangzhou convaincue par son excellence, de lui redonner sa chance.
Lin Dan a changé de nom. A part la police, le seul au courant de son état-civil tout neuf est Lao Wang, le maton devenu son copain, par qui le journal cherche à le retrouver. Mais en vain : après ces années d’épreuves et ce combat si âprement mené, pour rien au monde, Lao Wang ne voudrait trahir son ami, une fois sa dette payée, et lancé son nouveau départ !
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