Petit Peuple : Au Qinghai : Encercler Wei pour secourir Zhao

Sur le plateau tibétain au sud du Qinghai, par 3000m d’altitude, des nomades vivent au froid, de leurs chèvres et yaks et de leurs lopins d’orge. Là-haut, point de soins de santé. Sous-alimentés, jamais lavés, les enfants sont des proies désignées de la poliomyélite: situation lamentable, dont surgit au tournant du siècle, une tragi-comédie en 4 actes.

1eracte: Dzochen Rimpoche, lama d’un monastère, chargea son assistant Jianzi de restaurer une ruine pour y loger un dispensaire. Aidés de riverains enthousiastes, les novices ne mirent qu’un an à remonter pierres et tuiles, chauler les salles. Au printemps l’infirmerie ouvrait, offrant enfin aux bergers et à leurs familles les consultations et vaccins qui faisaient tant défaut.

2d acte : un bel après-midi d’ été, une berline 4×4 japonaise flambant neuve s’arrêta d’un crissement de pneus devant le dispensaire. Insensible aux formules de bienvenue bégayées par les lamas infirmiers, Zhang Bing (nom d’emprunt), le petit chef de canton, fondit sur les responsables et exigea le permis de construire, la licence du centre. Tétanisé, Jianzi était bien en mal de produire quoique ce soit: dans son angélique simplicité, il n’avait jamais pensé à ces formalités.

Au mépris souverain et sourire pincé, Zhang Bing lui notifia qu’ils avaient violé les lois de la République. Contravention fut dressée. La pharmacie fut vidée dans de grands sacs et embarquée, les frères soignants arrêtés pour «exercice illégal de la médecine». A son tour convoqué, sermonné dur, Dzochen le lama ne put que garder profil bas, navré de ne protéger ses brebis maltraitées. Puis il s’imposa quelques jours de jeune, histoire de méditer avant de repasser une bonne fois à l’action.

3ème acte: 80 jours après, à sa sous-préfecture, Zhang re-çut un appel d’un genre comminatoire. De Pékin, une huile prenait l’avion pour venir le voir à Xining, capitale du Qinghai, dans 3 jours, le temps pour lui de s’y rendre par la piste.

Flatté que se trouve au sommet quelqu’un pour suivre ses provinciaux mérites, le jeune cadre plein d’avenir passa les 3 jours de «tape-cul» à moto, à rêver à la prochaine promotion.

La douche froide qui l’attendait dans un salon de l’aéroport n’en fut que plus mortifiante : un Zhang durement ramené aux réalités terrestres, s’entendit taxer par le fonctionnaire d’incompétence et d’imbécillité. Par sa tyrannie tatillonne, il avait piétiné l’espoir collectif qu’il avait pour devoir de protéger, et fait replonger des pauvres dans une misère dont ils commençaient juste à s’arracher. A cause de ce crétin, depuis des semaines à travers l’Europe, des articles accumulaient les critiques à la Chine, au canton et à lui-même, illustrés d’enfants handicapés par la polio, et des bonzes qu’il avait fait embastiller. Ceci, au moment, où Pékin cherchait à apaiser la question tibétaine…

Ne sachant plus où se mettre, aussi obséquieux à présent, qu’il avait été impitoyable un an plus tôt, Zhang Bing ne put que s’autocritiquer platement, trop heureux de la dernière chance qu’on lui laissait de réparer ses erreurs. A peine retourné au canton, il s’empressa de libérer les frères soignants qui s’en retournèrent triomphalement au monastère, nantis de tous les permis signés au top niveau.

  4ème acte: à l’été, un Zhang Bing transfiguré, métamorphosé en groupie de Dzochen et de son dispensaire, accueillait une imposante délégation. En tête se trouvait l’amie occidentale à qui avait écrit le Rimpoche, et qui avait relayé son message auprès de ses contacts dans la presse européenne. Quelques journalistes étaient aussi du voyage, ainsi que des cadres pékinois du Parti. Lequel venait de confirmer sa notoire capacité à réagir vite pour se tirer de situations difficiles. Depuis l’hiver, l’infatigable Zhang Bing était parvenu à tripler le personnel du dispensaire, son volume d’action et son savoir-faire, tout en lui of-frant une route toute neuve, fraîchement tracée au bulldozer. Depuis lors, les fonds d’Europe et d’Amérique affluent dans la caisse de l’association en JV qui vient d’être créée, vice-présidée par Zhang Bing, tandis que pour son bon travail, Dzochen Rimpoche siège à l’Assemblée consultative nationale. Faut-il le dire? Plus un cas de poliomyélite infantile n’est à signaler dans le canton.

Pour atteindre ces résultats, Dzochen avait recouru au n°2 des 36 Stratagèmes, «Encercler Wei pour secourir Zhao»  (围魏救赵 wéi Wēi jiù Zhào). Le commentaire des traducteurs jésuites est explicite : «Réduire les forces de l’adversaire alors qu’il attaque un allié, puis le battre sur un terrain où il est affaibli ». C’est exactement ce qu’avait fait le bon père abbé ! 

 

 

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