Petit Peuple : Yingbeng, l’orange amère s’adoucit

En 2000 un certain Chen, retraité, acquit 23ha arables en pleine jungle au coeur de l’île de Hainan. La pub aguicheuse lui faisait miroiter une fortune dans la culture de l’orange verte, agrume local. Mais, débarquant à son domaine après un long périple en avion, bus et taxi-brousse, le couple devina que l’aventure prendrait un souffle plus fort que le sien. Franchissant les collines âpres aux frondaisons tropicales, la route dégradée s’interrompait à l’orée de Yingbeng, dernière ville avant le mont Wuzhi, laissant place à un sentier où même un vélo ne passait plus. La forêt vierge était si dangereuse que nul ne s’y risquait. De hautes fougères barraient le passage, des arbustes ou lianes aux 1000 tressaillements de bestioles invisibles sous le jacassement enivrant d’oiseaux cachés, le grognement moqueur des primates. Une fois sur leur terre, ils réalisèrent qu’ils devraient bûcheronner, dessoucher, aplanir avant de replanter, avec pour seul abri une bâtisse sans nulle aménité. Après des semaines de nuits étouffantes aux terribles moustiques et cris menaçants, les Chen s’en re-tournèrent à leur Jiangxi, jurant qu’on ne les y prendrait plus.

Eux, mais pas Fubin, leur fils volontaire, fort de son diplôme d’économie et du soutien de Shuhua sa femmeme enceinte. Avec pour viatique un baril de bougies et de serpentins anti-moustiques, ils s’installèrent, retroussèrent leurs manches. Astreint le jour à l’épuisant labeur, Fubin poursuivait le soir, potassant manuels d’agronomie et revues de gestion. Ils n’allaient à Yingbeng que rarement, temps d’un bon repas pour nourrir l’enfant à naître. C’est au cours d’un de ces périples, en juin 2000 que Shuhua fut attaquée par un essaim de guêpes – heureusement sans suites pour sa santé.

L’orangeraie plantée, ils firent la route, nécessaire pour acheminer la récolte: aux cantonniers et au bull loué, il fallut 3 ans, 30.000² pour percer l’axe, permettant du même coup l’arrivée de la fée électricité. En 2004 tomba la 1ère récolte, généreuse et superbe. Mais au marché de Haikou la capitale, les attendait une autre épreuve: à qui mieux mieux, les passant tordirent du nez, et après peu de jours, le fruit se gâta. Même échec sur le continent, au Hunan, où leur camion d’essai ne trouva pas preneur. Aucun manuel n’avait dit çà à Fubin, mais en Chine, l’on achète en masse, ou bien pas. Or, son «orange verte de Qiongzhong», de par sa couleur, semblait aigre : la colle ne prenait pas !

Ce n’est qu’après 2 ans qu’il trouva la solution. Saisissant le taureau par les cornes, le jeune planteur gagna Nankin, une de ces métropoles qui fait l’opinion. En plein centre, il fit goûter ses oranges à tout va, vendant après dégustation à prix dérisoire. Après une semaine de son manège, une chaîne de magasins du delta du Yangtsé lui passa une énorme commande-500t., et 2M¥ pour la saison !

De retour en son île, dans les années suivantes, Fubin racheta à tour de bras des terres autour de lui. 30 autres plantations surgirent, aux 3000 fermiers sur 2900 hectares. Une association naquit, dont il fut président. Il déposa les statuts de l’ AOC et fit imprimer le sticker holographe, permettant de distinguer leur précieux fruit des contrefaçons. L’institut national d’agronomie inventa un procédé pour conserver l’orange 15, voire 120 jours (au frais).

En 2009, quatre ans après, passée à 15000t/an, l’exploitation du couple se préparait à l’exportation. Depuis lors, rassurée sur leur avenir, Shuhua aime à répéter ce proverbe 苦尽甘来kǔ jìn gān lái (après l’amer vient le doux), dont le sens double la fait sourire: l’orange est toujours sûre avant de se charger en sucre, et dans leur propre existence, les années de chien ont laissé place à la douceur de vivre !

 

 

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