Stupéfiantes mais authentiques, les tranches de vies qui suivent, d’une mère et d’un fils à Yuling (Shaanxi), pourraient plaider en faveur de l’existence d’un gêne de l’énergie vitale (活 力 huoli) aléatoirement distribué dans la chaîne ADN de quelques happy few…
Mal mariée en ’85 par un père inconscient à l’âge tendre de 18 ans, avec un monstre qui la battait, Yunsun réclamait le divorce 5 ans après, avec deux bébés sur les bras. Selon la coutume, le juge réservait au père la garde de l’aîné (pour sauvegarder le nom), Yunsun obtenant la cadette. Enfin libre, elle s’était donné 48h pour pleurer, puis s’était retroussée les manches. Avec de l’argent des amis, elle avait passé le permis de conduire et acheté une auto poussive, qu’elle avait re-peinte: la 1ère Cie de taxis de Yu-lin («village» de 100.000 habitants) venait de voir le jour et prospérait, lui permettant d’acheter une 2de unité, puis une 3ème . Quand elle revendit la firme en 1992, elle en comptait 12.
En cédant sa «boite», Yunsun avait une idée en tête. Après le divorce, toute chance de remariage ou d’emploi était perdue à Yulin. Tant qu’à faire, pourquoi ne pas reprendre ses études ailleurs? Avec sa fillette, elle monta à la capitale, y loua une chambrette. Elle choisit un job de chauffagiste de nuit: il lui permit de préparer le concours d’entrée pour travailleurs à l’Université légale, qu’elle réussit. Dès 1996, diplôme d’avocate en poche, elle passait à Beida, la prestigieuse base pékinoise, le temps d’obtenir son master de juriste, un poste de prof, puis un de juge (ayant passé le concours de la magistrature), qu’ elle exerça dès lors en tribunal.
Entre-temps, son fils Zhongzhong, avait lui aussi vécu des débuts tourmentés. Les mauvaises fréquentations du père, bientôt en prison à vie pour jeu illicite, escroquerie et trafic de drogue. Privé de mère et de père, Zhongzhong était resté chez des grands-parents taraudés par la double déchéance du fils -le divorce, la perpète. Aussi avaient-ils inventé, pour eux-mêmes, plus que pour l’enfant, une légende calomniatrice : Yun Sun ayant poussé son mari au désespoir, lui faisant perdre le droit chemin, avant de déserter le foyer familial. Le petit avait gobé l’histoire: à 16 ans il rêvait de retrouver sa mère, pour l’étrangler …
Par chance, Zhongzhong était le digne fils de Yunsun, de la même engeance. Plus il souffrait de l’abandon (présumé), plus il compensa dans les études, toujours en tête de classe, passant un gaokao (bac) brillant et conquérant une bonne place d’études supérieures.
A l’époque lui revinrent aussi des bribes de son enfance, contredisant la version officielle. Il lui suffit de demander aux oncles et tantes pour découvrir le pot aux roses.
En 2002, il obtenait une bourse de PhD de l’université de Toronto. Après ces études de troisième cycle, il trouva un bel emploi sur place. Puis obéissant à l’appel des siens, il revint fin 2009 à Yulin, épouser une héritière des charbons du Shaanxi-sa fortune était faite.
A l’union arrangée, Zhongzhong n’avait qu’une condition : retrouver celle à qui il n’avait cessé de rêver toute son enfance, Yunsun. Pour satisfaire une demande qui au fond l’absoudrait d’une culpabilité, la grande famille se mit en chasse, fit appel à une agence de détectives, qui remonta sans peine jusqu’à la mère.
Et c’est ainsi qu’en janvier 2010, à Yulin, eut lieu le mariage en grande pompe. A la fête, rien ne manqua, ni les stocks d’eau, de bois et de charbon dans l’entrée de l’appartement, ni le nourrisson placé sur le lit conjugal pour bien montrer aux tourtereaux la marche à suivre, ni les enveloppes rouges de 100.000 RMB aux deux conjoints, pour leur rappeler qu’ils étaient chacun choisis parmi une infinité. Ni les deux jours de banquets avec pour les mariés, changement de tenue chaque trois heures, afin de parader devant les centaines d’hôtes du gratin de la ville (passée en 30 ans à 0,5M d’âmes), …
Seul détail insolite : 48h durant, ce n’était pas la main de la promise que Zhongzhong tint anxieusement sans jamais la lâcher, mais celle de la juge, sa mère, qui le lui rendait bien. Après exactement 20 ans de séparation, mère et fils étaient réunis. C’était «la joie qui succédait aux malheurs du passé», 苦尽甘来,Kǔ jìn gān lái !
Sommaire N° 5