Q. En décembre 2009 à Copenhague, le sommet de la COP 15 fut perçu par beaucoup comme un échec. Quels aspects positifs peut-on en retirer?
Il y a le fait pour cet accord, de valider la cible de 2°C d’élévation maximale de température moyenne du globe – cible consensuelle et utile, même si l’on n’a pu trouver de clé de répartition de l’effort entre pays. L’accord maintient aussi le soutien financier des pays industrialisés aux PVD. 100MM$/an pour financer leurs projets de développement durable et de changement climatique est un montant dans les fourchettes des évaluations scientifiques mondiales. Ici, nous sommes d’ailleurs exactement dans le domaine d’intervention de l’Agence française de développement (AFD). Enfin, l’accord de la COP 15 inclut l’utilisation des sols et forêts: c’était capital, puisqu’ un tiers des gaz à effets de serre (GES) dans le monde proviennent de l’agriculture ou de la sylviculture, et bien plus dans les pays forestiers (75% au Brésil).
Q. Après le blocage à Copenhague par des pays tels Chine ou Inde, d’un accord contraignant mondial, peut-on envisager de renoncer à cette formule à l’ avenir pour viser un «Plan B» de réductions d’émissions de CO2 par les nations chacune pour soi ?
La COP 15 est une Conférence des Parties, supranationale par essence. Y renoncer serait reconnaître que le système onusien n’est pas le bon. Certes il atteint des limites, mais il a le mérite suprême d’associer tous les Etats. Le processus, et l’accord qui en résultent doivent être consensuels, associer tout le monde, s’assurer collectivement que cela répond aux enjeux. De la même manière, un accord proposé par un groupe restreint de pays peut ensuite être adopté consensuellement par les autres : le consensualisme n’est donc pas obligatoirement lié au « leadership » exercé par les pays les plus influents. Mais je ne pense pas que l’accord final doive être contraignant (au sens juridique du terme), ni que l’objectif d’un consensus empêche les pays les plus influents et les plus grands émetteurs de jouer un rôle moteur, au contraire.
Quant à l’idée d’un Plan B par pays, elle ne sert absolument à rien. Seule une action concertée associant les pays les plus émetteurs, peut résoudre la question. Pour caricaturer, laisser les PVD sur leur trajectoire d’émissions actuelle, ne permettra pas de respecter le plafond des 2°C recommandé par les scientifiques, même si on arrêtait les usines des pays industrialisés.
Q. A Copenhague, les diplomates chinois se sont retrouvés prisonniers d’un mandat arrêté à Pékin, sans marge de manoeuvre. Il en est ressorti en fin de compte l’image d’un pays « adolescent », émergent, qui découvre sa puissance mais pas encore capable d’assurer une responsabilité de puissance : comment voyez-vous son évolution, au plan diplomatique ?
La question dépasse le cadre du réchauffement global. Effectivement, la Chine s’est découverte une stature internationale. Effectivement, de nombreux analystes attribuent à une erreur de jeunesse son comportement rigide à Copenhague. C’est en partie fondé. Pékin ne se rend sans doute pas encore compte de toutes les conséquences de ses positions d’alors. Annonçant ses objectifs avant le Sommet, la Chine espérait arriver aux négociations avec une aura. Mais l’impact de son annonce s’est dissipé avant, et après la clôture, on n’a plus retenu que sa position bloquante…
Cela dit, bien sûr, elle va évoluer, car certains fondements de sa position se fragilisent. Ainsi, elle se fait encore le porte-parole des PVD, et elle a encore pour le justifier de nombreuses poches de pauvreté criante. Mais si l’on retient sa stature de deuxième économie mondiale, l’argument est affaibli. De même, en émissions de GES elle est N°1 mondial, et elle joue sur son niveau par habitant inférieur à celui des pays industrialisés, notamment des USA. Mais au rythme actuel en 2013, son niveau par habitant aura dépassé celui de la France. D’ici là, elle devra changer d’attitude, car ses fondamentaux ne seront plus vrais.
Q. Quelle est la présence en Chine de l’AFD, dans la lutte contre le réchauffement climatique ?
‘ Historiquement l’AFD, banque de développement, travaille sur les pays les plus pauvres, Afrique notamment. Mais depuis 2005, le changement climatique nous a donné un mandat politique très fort pour élargir notre mission et intervenir auprès de nouveaux pays émergents, là où se trouvent les enjeux – Chine, Inde, Brésil, qui ont besoin d’aides technologiques et financières. L’AFD s’est progressivement impliquée dans cet enjeu stratégique d’atténuation des gaz à effet de serre. En 2009, nous avons octroyé en prêts et en subventions dans le monde le quadruple de l’an 2000, plus de 6MM², dont près d’un tiers peut être lié au climat, notamment dans les pays émergents.
En Chine, depuis 2003/2004, nous avons financé une dizaine de projets dans les énergies renouvelables, le développement rural, les chemins de fer pour 700M². D’ici 2012, nous envisageons de maintenir ce rythme, avec une dizaine de projets pour 500M². Mais il n’y a pas que l’argent : à travers ces projets, nous cherchons à apporter des idées nouvelles et à nous en servir pour dialoguer avec des ministères, métropoles, provinces. Ainsi nous promouvons de nouvelles normes énergétiques dans le bâtiment. Conjointement avec trois grandes banques chinoises, nous rédigeons un guide pour la profession, sur l’évaluation des projets d’efficacité énergétique en vue de leur financement. Dans ce genre de domaine, prêcher la bonne parole est une chose, mais la démarche est encore mieux entendue si elle est accompagnée d’un projet doté d’un financement, pour en démontrer l’efficacité par A+B. Cultiver et nourrir le dialogue France-Chine sur le combat du réchauffement climatique, tout en apportant des solutions concrètes : tel est notre défi.
Sommaire N° 5