Petit Peuple : Xuchang : la promesse tenue, 30 ans plus tard

Ce soir du 10 mars 1979 au bivouac, Guo Yimin et Li Baoliang n’en menaient pas large. Éprouvés par des journées de harcèlement, ils attendaient le lendemain leur baptême du feu, bataille sanglante dont tous ne reviendraient pas.

Deux mois plus tôt à Xuchang (Henan), ces gars de 20 ans avaient voulu servir leur patrie et s’engager dans l’armée, honneur réservé aux élites. Mais à peine sous les drapeaux, ils se retrouvaient en première ligne au Vietnam dans une opération de «punition» commandée par Deng Xiaoping, qui tournait au désastre. Coincés dans le défilé de Langsong, ils subissaient un feu nourri d’artillerie lourde depuis des hauteurs réputées infranchissables, mais que l’ennemi avait su franchir. Durant leur veillée d’armes, les deux copains s’étaient juré, si le pire devait advenir, que le survivant ramènerait au pays la dépouille du disparu.

L’attaque eut lieu la nuit du lendemain -l’ennemi profitant de sa maîtrise du terrain. Li servait une mitrailleuse lourde en position avancée, dans le peloton n°1, Guo, artilleur aussi, étant affecté au peloton n°6. Le destin voulut que Li décède d’un éclat d’obus tandis que Guo grièvement blessé, était bien incapable de s’inquiéter du sort de son ami. Il ne reprit conscience qu’en Chine, pour découvrir que son unité avait dû battre retraite, laissant ses morts sur place.

Cette réalisation fut terrible: Guo avait failli à sa promesse. Non enseveli selon les rites, Li était condamné à errer dans les limbes entre terre, ciel et enfer sans jamais trouver la paix. De retour à Xuchang, Guo tenta de, et réussit plus ou moins bien à refaire sa vie, entouré par les siens. Mais jamais ne le quitta le souvenir brûlant de sa parole trahie.

Quand en mai 2009, 30 ans plus tard sonna l’heure de sa retraite, Guo savait de longue date à quoi il consacrerait ce temps libre. Il fit imprimer des calicots à l’inscription ‘‘ Chercher le corps du martyr », avec ses coordonnées de contact. Il voyagea par des dizaines de villes, pour les suspendre dans les axes à fort passage.

Il reprit aussi contact avec son régiment, espérant retrouver des détails pour localiser le lieu du décès. Quoiqu’incapable de le satisfaire, l’unité lui fournit néanmoins des détails presque aussi précieux : une carte d’Etat major avec les positions, les mouvements et les hommes du peloton n°1, tel Zhao Dekuan, promu héros de 1ère classe… Puis durant des mois, son enquête fit du sur place -même auprès d’amicales d’anciens du Vietnam, qu’il avait contactées par internet.

En octobre 2009 enfin, le lien se présenta: un ancien lui permit de trouver Zhao Dekuan lui permettant de remonter une étape. Zhao se souvenait de deux gars qui avaient tenté de sauver Li : Xu Ping et Chen Jianguo. Il conduisit Guo jusqu’à eux, l’un à Wuhan fin octobre, l’autre le 27 novembre à Changsha où il exerçait encore sa profession de chef d’atelier en usine. De sa bouche enfin, il écouta le récit des dernières heures de Li Baoliang.

Dans la nuit d’enfer, sous l’orage de plomb, l’ordre de retraite était tombé à 21h, alors que l’ennemi n’était plus qu’à 15m -on luttait pratiquement au corps à corps. Chen portait Li blessé, quand le lieutenant lui avait ordonné: « plus le choix maintenant, sinon, c’est toi qui y passe – dépose le à terre». Sous les balles qui traçaient, il avait déposé le corps, sans mê-me savoir s’il était mort ou vivant…

Ainsi 30 ans plus tard, tous ces vieux soldats, s’étaient re-trouvés autour de Guo Yimin, pris au jeu de retrouver leur disparu. Confrontant leurs souvenirs, ils avaient complété la carte remise par le régiment, sachant désormais à quelques mètres près le site où reposait Li Baoliang.

Ils en sont là. Ils s’apprêtent à retourner au défilé de Langsong. Rien ne saura les détourner de leur mission pacifique de souvenir. Ils sont bien conscients qu’à moins d’un miracle, ils ne retrouveront rien des restes du compagnon, mais qu’importe : ensemble, ils auront fait leur deuil, posé une gerbe ou une stèle, permettant à Li Baoliang de trouver le repos.

Sur le tard, au terme d’un long chemin, Guo aura tenu la promesse à son ami d’enfance. Il pourra enfin goûter une vieillesse au calme, des nuits tranquilles : comme s’il avait passé toute sa vie à faire fortune car, comme dit l’adage, « promesse tenue vaut mille taels d’or » : 一诺千金, nuò qiān jīn !

 

 

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