[1] « La Chine compte 1,3 milliard de sujets, hormis les sujets de mécontentement », aurait pu dire Paul-Louis Courier, pamphlétaire français du XIX siècle, à propos du lancement du 6ème recensement dans l’histoire du pays (01-10/11). Un projet coûtant 700M¥, mené avec des méthodes très innovantes.
A l’inverse du sondage de l’an 2000 où l’on recensait selon le lieu du hukou (permis de résidence) – souvent au village – les 6M de recenseurs vont aux 400M de foyers réels – en ville. De ce sondage mieux ciblé, l’Etat attend une photo plus nette de la grande famille chinoise, dévoilant le nombre des migrants (160millions ?), le recul de la jeunesse (des demandeurs d’emplois !), la progression des personnes âgées (avec ou sans retraite), la part respective des villes et des campagnes (on s’attend à 50/50, contre 64/36 en 2000).
Pour donner envie de coopérer, le sondage évite les sujets délicats -revenus, religion. Pour inciter à déclarer les enfants «illégaux», l’Etat offre de les légaliser à faible prix. Pékin est conscient de la nervosité ambiante, et en dernier recours, le recenseur peut faire appel à la police pour obtenir les réponses à ses 18 questions…
[2] Les raisons de la tension sont multiples.
Le Juge suprême (2/11) dénombre 6375 cas d’abus de pouvoir, ces 10 derniers mois, +6% qu’à même époque en 2009. Tel celui de Gong Cheng, commissaire de 32 ans à Changsha (Hunan), qui avec quatre comparses, drogua et viola une jeune fille (4/09), laquelle se défénestra ensuite. La justice vient de lui infliger la perpétuité et aux complices, d’autres peines très lourdes. Face à cette affaire et d’autres, Pékin rappelle aux cadres du Parti (le 2/11, via le Quotidien du Peuple), de ne pas oublier qu’ils sont “au service du peuple”.
L’immense majorité des griefs touche au foncier. Le problème est systémique, dû à l’absence de privatisation de ce bien “public”, et à la dépendance des mairies, pour se financer par la vente de terrain, avec tous les risques de collusion associés. Pour le Global Times, dans 20 provinces, les habitants craignent d’être dépossédés.
Dans les campagnes, une loi de 2008 fait des ravages. Supposée “récupérer du sol arable”, elle permet de raser les fermes, puis de vendre au promoteur, comme à Zhucheng (Shandong) où 700.000 fermiers de 1249 hameaux seront relogés dans 208 districts ruraux -perdant beaucoup au passage.
En ville, le processus est similaire. A Guiyang, 700 locaux sont violemment expulsés (29/10). A Mishan (Heilongjiang), un exproprié s’immole par le feu. A Guzhai (Shanxi), un expulsable est battu à mort—il réclamait plus que les 5600¥/m² dictés par la mairie. A Hohot (Mongolie Intérieure), le promoteur choisit d’envoyer aux intéressés leur arrêté d’expulsion, accompagné d’une balle dans l’enveloppe : la police “enquête”.
Face à ces dérives, on note l’adaptation très rapide de la société, s’arrachant à la passivité. Et le rôle d’éclaireurs joué par des artistes, comme Ai Weiwei interdit par les autorités de se rendre le 7/11 à Jiading (Shanghai) pour protester contre la démolition de son studio. Ou comme le blogueur Han Han, en épreuve de force continue depuis l’été avec les autorités à Shenzhen, pour publier sa revue Duchangtuan.
[3] Ce malaise social est très visible à Canton, où débuteront, le 12/11, les Jeux Asiatiques, relayant l’Exposition de Shanghai clôturée (31/10) après avoir accueilli un record de 73millions de visiteurs en six mois.
Sur l’île de Haixinsha, ces Jeux Asiatiques se dérouleront dans des conditions de sécurité maximales (comme aux JO de Pékin et à l’Expo de Shanghai), sous des déluges de lumière, symbolisant la modernité. Au village limitrophe de Liede, les habitants sont priés, le 12/11 (nuit de l’ouverture) de quitter leur maison, éclairée.
Or, des milliers de Cantonais prétendent s’organiser pour éteindre cette nuit-là, remplaçant leurs lampes aux fenêtres par des bougies, au nom de la lutte contre le gâchis énergétique, ce qui est un des slogans des Jeux Asiatiques de Canton. Le mobile pourrait sembler peu plausible. Il leur permettra au moins de se justifier d’une accusation de manque de patriotisme…
Sommaire N° 36