Qui l’eût cru ? Contestée voire en plein recul en Occident, la psychanalyse s’offre en Chine une drôle de «seconde vie» via internet, avec immense succès, dont témoi-gne cette semaine à Pékin la tenue du Congrès de l’Association Psychanalytique internationale.
Tout a commencé en 2003 par une mission de l’école lacanienne en Chine, qui assura ensuite la formation de praticiens tel Huo Dadong* à Chengdu, bourgeons de foyers d’enseignement et de soins dans les métropoles.
Puis depuis 2008, la CAPA association de psychanalystes américains, forme à distance par skype des classes de psychothérapeutes.
La formation dure deux ans, en stages intensifs de 4h par jour, 15 semaines par an, à 10 par groupe réuni chez une personne privée – un médecin typiquement. Les droits sont limités à 1500$ par personne : montant faible, dû au fait que les instructeurs ne se font pas payer. Souvent à la retraite, ces psys constatent en leur pays un recul de vocation pour leur métier, sous la concurrence de soins nouveaux (antidépresseurs, thérapies «comportementalistes» de groupe). Pouvoir ouvrir ce nouveau front en Chine, y découvrir chez les étudiants un enthousiasme débordant, est pour eux une belle compensation. Et la renaissance de la psychanalyse en Chine est aussi servie par un autre miracle technologique des dernières années, l’expansion planétaire de l’internet.
La traduction du freudisme en Chine, ne va pas sans heurt. Ainsi, la formation peut mettre l’étudiant en conflit avec sa tradition confucéenne de fidélité à la famille, en le sommant de reconnaître des faiblesses, voire des fautes de son père durant sa petite enfance. Idem, le cri de sentiments parfois violents (colère, pleurs) inévitables en psychanalyse (au moment du « transfert », aboutissement du travail sur soi), peut poser problème face à l’impératif chinois traditionnel de la face.
Les instructeurs sont aussi vigilants à la tentation de s’imposer comme figure d’un «Dieu» ou «père» auprès de l’étudiant, ou de lui donner une leçon occidentale non transcrite en concepts culturels locaux. Au contraire, ils s’efforcent de faire émerger des images neuves : l’inconscient est représenté comme les fantômes (invisibles-malfaisants) des légendes chinoises et le complexe d’dipe, comme le syndrome du «petit empereur»…
Cette surprenante popularité de la pratique freudienne s’explique d’abord par les besoins infinis et inassouvis de santé mentale, grande oubliée de la croissance. La Chine compte 100M de souffrants (stressés, déprimés), 16M de malades graves (paranoïaques, psychotiques, schizophrènes). Mais avec seulement 1% du budget de santé alloué au mental contre 20% à l’Ouest, 70% des malades mentaux ne sont pas soignés.
Tout manque: le cadre légal cohérent pour éviter bavures et internements arbitraires, les équipes de prévention et centres téléphoniques pour aide d’urgence (anti-suicide par exemple), l’information déstigmatisante, les centres d’internement, ceux de proximité adaptés aux besoins des familles etc. En matière de soins à l’âme chinoise, tout reste à faire!
* lire : « la Chine sur un divan », Huo Datong/Dorian Malovic, Editions Plon
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