A Bruxelles, au sommet de l’ASEM (Asia-Europe Economic Meeting), 48 pays d’Europe et d’Asie ont peut-être vécu les prémisses d’une guerre monétaire globale. Au coeur de la mêlée, le taux de change du Yuan chinois, accusé d’être manipulé.
Le mécanisme est clair. Pékin soutient toujours plus ses industries. En 2008, face à la récession, il a versé 400MM² – 6mois de PIB, dont beaucoup en aides à l’exportation. Un tel mécanisme devrait conduire à l’appréciation du Yuan et des produits d’exportation.
Pékin recourt en outre à un système pour «stériliser» ce rééquilibrage naturel du commerce international: il renvoie ses recettes d’export là d’où elles viennent, surtout aux USA, en les plaçant en bons du Trésor. Depuis 5 ans, c’est 1 milliard $ qu’il injecte chaque jour, lui permettant de figer le Yuan au taux de 6,2¥/1US$. En juin, une vague concession n’a abouti qu’à une hausse de 2% sur le US$. Le résultat pour l’euro a été une hausse de 16%. Pire : d’autres pays se mettent à cette pratique, Suisse, Grande-Bretagne et Japon dont le Yen a baissé de 15% sur l’euro.
Aussi à Bruxelles, Jean-Claude Junker (Luxembourg), grand argentier des 27 Etats membres, réclamait du 1er ministre Wen Jiabao une « appréciation du Yuan ordonnée et significative » pour une croissance «plus équilibrée». Or Wen Jiabao, sans surprise, a opposé à ces attentes un refus souriant mais définitif. Pour lui, la hausse de « 25/40% » du ¥uan attendue par l’Union Européenne causerait la mort de trop d’usines chinoises. La meilleure coopération mondiale consisterait à cultiver la «stabilité» des monnaies.
Changeant de sujet, il rappelait aux Européens ses propres vieilles demandes : la fin de l’embargo sur les ventes d’armes, ou l’octroi du statut d’économie de marché qui assurerait enfin à la Chine la disparition de toute protection contre ses exportations vers le vieux continent…
Fait notable, avant d’atterrir à Bruxelles, Wen Jiabao s’était fait des alliés. A Athènes, il ouvrait aux armateurs grecs un fonds de 5MM$ pour financer l’achat de cargos made in China, et promettait l’achat de dette publique grecque, dès l’émission d’obligations. De plus, selon des rumeurs convergentes Nicolas Sarkozy, qui présidera le sommet G20 à Séoul en novembre, aurait reçu l’aval de Pékin sur l’agenda de la réunion. Si le Président français parvient alors à faire adopter par le G20 un instrument de surveillance des «flux erratiques» monétaires, cela lui vaudrait une remontée dans l’opinion publique, précieuse pour lui par les temps qui courent – et ce serait à Pékin qu’il le devrait…
Mais face au contentieux, ces deux alliés potentiels, ne suffiront pas. Le 8ème ASEM, et le 13ème sommet Chine-Union Européenne qui se déroulait en marge, ont abouti au refus frontal des Européens de laisser la Chine (entre autres) leur faire supporter plus longtemps une part inéquitable de la récession.
Or, les USA sont déjà passés à l’acte en votant au Congrès (29/09), en 1ère lecture, des droits compensateurs à l’export chinois. Par ailleurs, contre la manipulation, un autre instrument de défense est dans les langes : l’intervention compensatoire monétaire, par laquelle quand la Chine achète des bons du Trésor, les USA vendent sur le marché un montant identique, éliminant ainsi l’effet «amaigrissant» pour le Yuan. D’autres pays envisagent aussi de ne permettre les achats de dette souveraine que sur base de réciprocité —ce que la Chine refuse…
Pour conclure, on voit évidemment un clash se préparer en novembre à Séoul, Chine contre un Occident inquiété par la stratégie monétaire chinoise et son obstination à la défendre. Or, force est de constater au Sommet climatique de Tianjin la présence du même «égoïsme sacré» de l’Empire du Milieu (cf p.3). A l’évidence, Pékin a choisi l’épreuve de force, ou bien s’y croit contrainte, dos au mur. Mais dans les deux cas, même à moyen terme, cette stratégie est intenable…
Sommaire N° 32