Sur ce campus à Nankin, la salle d’étude ronronnait au bruissement des pages tournées et murmures des cours répétés-routine universitaire: nos potaches ignoraient encore la vilaine affaire qui leur arrivait droit dessus, ce 30 janvier au soir. De retour des toilettes avec sa copine Qu Chenfei, Qian Jin vit de suite que son portable n’était plus là où elle l’avait laissé cinq minutes avant, sur ses classeurs et livres en vrac. Elle fouilla son sac, s’accroupit au sol. Mais au fond du coeur, elle savait déjà qu’il était volé.
Vieux Nokia griffé, l’appareil comptait moins chez elle pour son prix que pour sa valeur sentimentale. Il renfermait ses photos de famille et les numéros de sa vie intime, parents, ami de coeur, toute sa bande… Une idée surtout lui était insupportable: que parmi ses camarades, s’en trouve un rat, indigne de leur confiance à tous…
Discrètement, elle avertit les chefs élus de la salle d’étude. A la seconde, le plus sanguin des deux s’enflamma, préconisant un comité de salut public et une vengeance exemplaire du peuple. Plus doux et circonspect, l’autre cherchait à régler tout cela « en famille ». Mais il fallut se rendre à l’évidence : priée de mettre fin à la blague («les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures»), la classe apeurée ou complice maintenait le mur du silence – il ne restait qu’à appeler la police…
Voilà donc l’inspecteur et un acolyte, dépêchés sur place en un temps record, cinq minutes depuis leur commissariat de Taishan Xincun. Perspicace, Li Mingyue, à la 40aine sportive, sentit bien la tempête sous cette 30aine de crânes déstabilisés. Survolté, le délégué jacobin réclamait la fouille générale, pour «percer l’abcès». « La loi m’y autorise » répliqua l’inspecteur, mais il objecta que vu la valeur basse du GSM, il ne pourrait coller qu’une amende-«trop d’efforts pour pas grand chose».
En fait, sur la raison de son hésitation, Li était en train de mentir par omission. Un an avant, il s’était trouvé coincé dans une affaire aussi glauque, un étudiant ayant volé un ordinateur de façon si nigaude que le limier l’avait confondu en 10 minutes, montre en main. L’appareil dépassant un certain prix, passer l’éponge était hors de question: le jeune fut expulsé de la fac, carrière brisée. Et pourtant, ce n’était qu’un moment d’égarement, et le gars avait bon fond, Li avait pu le vérifier… Aussi l’inspecteur était-il déterminé, cette fois-ci à éviter une telle casse. Mais comment faire?
Soudain Euréka, une idée lui vint. Faisant le noir dans la salle, il disposa en rond les potaches médusés et les invita à une partie de mouchoir, ce jeu de toutes les enfances de la planète où le «chasseur» doit lâcher un linge derrière un « lièvre » à son insu : s’il peut faire un tour du cercle sans que sa «proie» n’y voie rien, elle doit prendre sa place. Par son subterfuge, Li espérait replonger les jeunes dans un bain d’innocence naïve, loin du drame moral qu’ils vivaient.
Ils eurent d’abord du mal à se prêter au jeu: « Où veut-il en venir?», entendait-il grogner. Qu’à cela ne tienne : meublant l’obscurité, il se mit à raconter ses propres années tendres, ses 400 coups au village, ce jour mémorable où il était parti avec les copains chaparder les pastèques du père Wang. Comment il avait été pris la main dans le sac, au prix d’une belle fessée et plus belle dispute encore. Dans la nuit, les rires fusent de bon coeur, à l’idée d’un flic voleur de melons. «Mais, fait-il enfonçant le clou, ça ne m’a pas empêché de finir policier. Nous avons tous droit à la faute, à condition de savoir nous amender ».
Au bout d’un quart d’heure, l’inspecteur Li rallume et fait chercher le portable. Sans faute, il est retrouvé sous une table. Li conclut: «Cette faute, c’était juste une inspiration viciée, comme une maladie. Cà aurait pu arriver à n’importe qui. Maintenant, c’est guéri, et soyez en sûrs ça n’arrivera plus. D’une certaine manière, votre groupe ressort immunisé, renforcé – par votre tolérance à tous».
Ainsi partit-il sous la «standing ovation » des jeunes, pleins d’admiration pour la manière dont il leur avait sauvé la mise à tous, en « laissant le poisson filer à travers les mailles » 漏网之鱼 (loù wǎng zhī yú).
Sommaire N° 31