Comme cela arrive souvent dans la vie réelle, l’histoire qui suit, qui fait parler d’elle sur la toile chinoise ces derniers jours, peut se lire avec deux paires de lunettes : l’une héroïque, l’autre moins glorieuse : faites votre choix !
Le 16/10/1993, Zhang Yongjin, en sa 4ième année de détention d’une peine de 7 ans en camp de réforme par le travail, s’est évadé du camp n°4 de Liuzhuang (Henan). Le site était peu gardé, sans miradors ni barbelés. En pure tradition maoïste, les matons comptaient sur la sévérité du châtiment promis, et sur l’obéissance socialiste pour dissuader leurs clients de s’envoler avant expiration de leur peine.
Mais deux mois plus tôt, deux taulards venaient de réussir à quitter Liuzhuang, sans être ramenés ligotés comme bétail en foire. Cela avait donné des idées à Zhang. Pour faire sa belle, il avait choisi la nuit où les geôliers tenaient leur partie de «puke» (poker) hebdomadaire. Il s’était alors retrouvé en forêt à la belle étoile, affamé et assoiffé – mais libre.
S’ensuivit un rude intermède de vagabondage, dormant d’une oreille sous les ponts, sur les bancs des arrêts d’autobus, terrorisé aux aboiements des chiens. Il se nourrissait de croûtons rassis, des fruits blets des camelots dans les marchés…
Après des mois d’errance, il atterrit à la mine de Yuzhou, sa seconde chance. Le patron savait flairer une bonne affaire quand il en voyait: il recruta Zhang à salaire quasi-nul, pour l’expédier à 100m sous terre. Désormais ses jours se suivirent sans lumière, aux longues heures dangereuses. Chaque fois qu’il s’ouvrait une main, se foulait une cheville ou brisait une côte en poussant son wagonnet, le boss ne lui payait même pas l’hôpital (qu’il refusait de toute manière, par peur de se trahir ou d’être dénoncé).
Et puis, voilà qu’un jour de printemps 2010, après 17 années de trime, Zhang sortit au grand jour, proprement habillé et rasé de près. Il empocha son dernier salaire, puis se rendit au tribunal de Liuzhou, pour se constituer prisonnier.
C’est ici que débute la lecture héroïque. En 1993, à l’en croire, c’était pour aider sa femme à élever leurs cinq enfants qu’il s’était sauvé. Il s’était privé de retourner au foyer, à seule fin d’éviter de se faire reprendre, et de gagner un salaire, d’envoyer ses mandats. S’il se rendait à présent, c’était que son aîné marié, installé dans la maison qu’il avait payée, devenait père. Libéré des obligations parentales, Zhang, grand-père, voulait payer sa dette jusqu’au bout.
Belle histoire, mais sa femme en a une autre. Son crime d’abord : c’est pour viol perpétré en 1980, qu’il a plongé. D’ailleurs, tout en allant lui rendre visite au camp les premières années, elle criait qu’elle aurait bien divorcé, si elle n’avait eu les mains liées par tous ces mômes à nourrir. Dédaigneuse, repoussant son sacrifice, elle nie qu’il ait contribué sérieusement au financement de la maison: «qu’il s’occupe de lui-même d’abord… Pour les enfants, on s’en charge, mes frères et moi»…
Autre raison plausible à sa reddition : des mois plus tôt, l’armée venait de rejeter la candidature de son cadet, en raison des antécédents familiaux. La malédiction ne cesserait donc jamais ! Or, il ne pouvait rien faire pour restaurer son image, étant en rupture de ban…
Quoiqu’on en juge de cet homme, son geste rare, lui coûtera. Au prétoire de Liuzhuang, le juge peu ému par son acte de courage indiscutable, l’a condamné à finir ses quatre années restantes, rallongées de quelques autres (le chiffre exact reste à fixer) : histoire de lui faire passer le goût de recommencer.
Au moins Zhang Yongjin peut-il espérer un autre bénéfice : celui de marcher désormais le front haut, face à sa famille qui n’aura plus «honte de son image» (耻与为伍, Chǐ yǔ wēi wǔ).
Sommaire N° 30