Mère nourricière du monde, avec ses plantations de soja arrachées à la forêt amazonienne, le Brésil intéresse la Chine. Tout comme ses minerais de fer, son bois, bientôt son pétrole… Quoiqu’aux antipodes, les deux pays forment déjà un bi pôle, potentiellement capable de surpasser en puissance l’Occident. Dès 2009, rappelle Financial Times, la Chine devenait 1er partenaire commercial du pays du bois rouge. En 2010, elle sera aussi son 1er investisseur, avec pour au moins 20MM$ de projets signés au 1er semestre, contre 89M$ l’an dernier.
Parmi ces projets, le Superporto de Açu, port en eaux profondes dit «l’autoroute de Chine» sera prêt en 2012, moyennant des MM$ d’investissements ; s’ajoutent l’usine auto Lifan ; 7MM$ d’achats d’actifs pétroliers par Sinopec et Cnooc (pour rattraper la CNPC, la compagnie nationale pétrolière, qui a acquis 200.000 bpj par Petrobras durant 10 ans) ; une aciérie sur l’eau pour Wuhan Steel ; une ligne à super-haute tension pour State Grid. Une ligne de TGV São Paulo-Rio est aussi en négociation —rames et systèmes de signalisation. Le cabinet Deloitte prévoit ainsi des investissements chinois de 40MM$ par an, dès cette année, et jusqu’en 2014.
C’est énorme. Après avoir testé la formule en Afrique ces années passées, la Chine l’étend ailleurs, Brésil en tête. Il s’agit d’un cycle financier radicalement nouveau. Dans le système traditionnel, les pays de l’Ouest fournissaient aux pays en voie de développement des infrastructures, à condition qu’ils paient tout d’avance (avec d’éventuels coups de pouce de fonds mondiaux), et que celles-ci ne lèse pas les intérêts des bailleurs (qui par exemple, leurs revendaient le pétrole raffiné, après leur avoir acheté le brut). Quoique pratiqué depuis 50 ans, tel système n’a pas permis aux pays en voie de développement de s’équiper. Or, la Chine arrive avec des technologies de qualité suffisante, à prix très inférieurs aux catalogues de l’Occident, sans condition, et paie tout d’avance.
Telle offre est accessible à tous, même aux riches. Arnold Schwarzenegger, gouverneur de Californie signe à Pékin (13/09) une entente pour une ligne de TGV Los Angeles-San Francisco : la Chine lui offre une «solution intégrée» incluant le financement, 40MM$ en 10 ans.
De ce new deal, la Chine aussi tire des avantages : une source de matières 1ères, un marché pour ses produits, un placement pour son épargne, l’affranchissant de la dépendance commerciale /monétaire envers les USA. Elle pourrait y parvenir, en renforçant son marché intérieur. Mais elle a un moyen plus rapide, en intégrant autour d’elle les économies des pays émergents. Mécanisme solide, qui crée ex nihilo un nouveau bloc commercial : pour le Brésil, cette intégration a nourri au 1er semestre une croissance de 8,6% dont il n’aurait pu rêver autrement.
Cette démarche va de pair avec une marche forcée vers un statut de devise mondiale au Yuan. Même si, à l’évidence, certains dans l’appareil, craignent encore d’ouvrir le marché des capitaux. De janvier à juillet, 10MM$ d’échanges ont été libellés en Yuan. C’est un début.
Enfin, ce choix pourrait avoir des implications stratégiques. En créant un marché planétaire, la Chine réduit sa dépendance envers les bons du Trésor américains, son obligation de soutenir le dollar. Tandis que l’Amérique elle, faute de se restructurer, risque de demeurer elle, dépendante des biens chinois à bas prix. Ce qui modifiera, en faveur de la Chine, l’actuelle interdépendance des deux pays. Ce qui pourrait, à terme, lui assurer une plus grande liberté d’action, par exemple, face à Taiwan, sans être davantage obligée de tenir compte des pressions yankee.
Sommaire N° 30