Ce n’est pas un mince paradoxe que ceci : la menace d’une guerre «chaude» en péninsule coréenne, pourrait contribuer à dissiper les vieilles brumes de guerre froide en Asie du Sud-Est. Le risque de conflit surgit suite au torpillage de la corvette Cheonan (26/03).
Après deux mois d’une enquête forçant le respect par son sérieux, Séoul a renfloué l’épave, les restes de la torpille et attribue l’attentat à Pyongyang, qui nie tout. La Chine elle, temporise. Séoul a appliqué ses premières sanctions : messages par haut-parleurs à la frontière, exercices navals anti sous-marins (26/05), blocage de toute aide et coopération, mise des troupes en alerte et avertissement que toute provocation aura sa réponse par les armes.
En 2010 comme depuis « toujours », Japon, Chine et Corée du Sud reproduisent des vieux préjugés de mé-fiance, héritage des fautes de leurs pères. Entre chacun d’eux et tout pays sur Terre, toutes coopérations avancent 10 fois plus vite qu’entre ces voisins—avec la Corée du Nord en leur milieu, comme si celle-ci tenait rôle d‘épicentre de haine. Jusqu’alors, au nom de leurs intérêts nationaux, ces pays se concédaient des alliances commerciales «minimales», mais sans rien vouloir oublier du lourd passé. Or la nouveauté absolue tient au fait qu’après l’attentat, ils semblent découvrir que l’inaction n’est plus une option : l’immobilisme risquant de coûter beaucoup plus cher qu’une gestion active de la crise.
Du coup, les rendez-vous se sont multipliés. A Gyeongju (Corée/Sud) les 15-16, se rassemblaient les ministres des affaires étrangères Yang Jiechi, Katsuya Okada et Yu Myung Hwan. Séance orageuse (cf VdlC n°19) mais où au moins l’on se parlait. Le 20/05 à Séoul, voyait les palabres des collègues du commerce Chen Deming, M. Naoshima et Kim Jong-hoon pour désembourber l’étude préliminaire pour un accord de libre échange tripartite : lancée en 2002, elle doit aboutir en 2012.
Les 29-30/05, sur l’île balnéaire de Jeju, c’étaient aux premiers ministres Yukio Hatoyama et Wen Jiabao, et au président Lee Myung-Bak de se voir. Wen devait poursuivre ces lundi et mardi par une visite d’Etat à Tokyo. Sujet central de tout cela: le traitement à réserver au pays du « Cher Leader ».
Pour la Chine, le choix est douloureux, et son silence lui coûte. Il deviendra intenable, dès que Séoul déposera une plainte au Conseil de Sécurité. Dès le 28/05 à Jeju, face au Prsdt Lee, Wen allait aussi loin que possible, présentant ses condoléances, prenant « note sérieuse» des résultats de l’enquête int’le, et surtout s’engageant à «ne pas protéger quiconque a coulé ce bateau en mars». L’enjeu est clair: la Corée/Sud d’abord, qui s’apprête à échanger 200MM$ avec la Chine d’ici 2012, ne le fera que si celle ci démontre ici sa capacité de partenaire.
Aussi, les diplomates américains, après le S&E, croyaient (anonymement) Pékin prête à lâcher Pyongyang. Et dès le 26/05, Wu Dawei, «Mr Corée» au gouvernement chinois, aurait informé Séoul d’un avertissement de son pays à celui du matin calme, de s’abstenir de toute provocation de plus, une fois enclanchées les sanctions du Sud…
Ces petits gestes tentent de prévenir une escalade annoncée. La question de fond étant, comme dans le drame de J.Giraudoux au titre prémonitoire, «la guerre de Troie n’aura pas lieu» (1935): ces efforts de bonne volonté suffiront-ils ? Notre instinct est de répondre par la positive, avec des conséquences fortes et positives sur la construction asiatique et son rôle dans le monde dans les décennies à venir. Sous réserve d’inventaire…
Sommaire N° 20