Finement distillée par les alambics du Parti, l’histoire de ce jour porte en filigrane le tampon rouge de la propagande. Comme tous nos Petits Peuples, elle est authentique. Par son vernis de morale à l’ancienne, elle reflète des vertus que le régime aime encourager, ancrées dans l’âme chinoise, mais dont la pratique n’est pas toujours universelle.
Au demeurant, à raconter cette chose de la vie, nul ne perd rien, ni le journal qui voit gonfler ses ventes, ni les millions de Chinois friands de tels drames, qui excitent leurs glandes lacrymales : vous êtes prévenu (e).
A Tianjian (Tianjin) naît en 1987 dans la famille Deng, un poupon éclatant de santé, Xuejian. Grande réjouissance, mais trois mois après, même aux plus enthousiastes, sa force apparaît excessive -déjà 15kg : en fait, il est obèse, frappé de dysfonction endocrinienne et faute aux médecins de trouver le remède, le mal ne fera qu’empirer. A 7 ans et 60kg, il est devenu le souffre-douleur de son école, sans amis, réfugié dans ses livres. A 15 ans et 150kg, c’est l’enfer. Le bus n’est plus possible, son vélo ne cesse de casser sous son poids: en retard en classe, en nage, son arrivée déclanche les rires gras, encouragés par les boutades des professeurs. Aussi dès la 5ème, baissant les bras; il quitte les études avec déjà l’impression que la vie n’a plus grand-chose en réserve pour lui.
Ce n’est pas que la famille l’abandonne, loin de là. Chaque matin, le père trottine avec lui un tour du village. Pour ne pas le tenter, durant un an, le foyer se prive de viande à table. Grâce à ces efforts, à 17 ans (en 2004), il est redescendu à 75kg, ce qui lui a permis de tenter un retour au collège. Hélas, ce n’est qu’une fausse promesse de son corps, dont la pompe à graisse redémarre, lui faisant retrouver en 12 mois les kilos de ses 15 ans, et requitter l’école pour sa désespérante solitude à la maison, cuisinant pour les siens à défaut de pouvoir les aider aux champs…
En août 2009, il est au plus bas : à plus de 200kg, il sent son coeur flancher, incapable d’irriguer la masse anarchique de son organisme. C’ est alors que vient le miracle, en deux temps.
[1] Le maire du village passe un soir avec une enveloppe de 4 à 5000¥, fruit d’une collecte « Pour se soigner », dit-il, et lui signale un hôpital à Changchun (Jilin), expert du traitement de son mal. Vite, avec ses parents, il saute dans le train, pour découvrir sur place que ce n’était qu’une fausse piste de plus : un an de soins lui coûterait 72.000¥, vingt fois ce qui lui reste en poche… Faut pas rêver !
[2] C’est alors que lui vient sa réaction géniale, fruit de son désir de revanche sur l’adversité. Sur le journal local, il a lu l’histoire de Song Jianping, lycéen venant d’obtenir une place à l’université, à présent forcé d’y renoncer parce que sa famille ne peut aligner l’argent des droits d’inscription. Séance tenante, Gros-Deng va au journal avec ses parents, et y remet pour ce jeune les 3000¥ qui lui restent.
Par modestie, Deng Xuejian s’est gardé de révéler son identité. Mais le jeune Song veut absolument le retrouver, et les journalistes l’y aident en lui donnant quelques précieux détails -sa corpulence et le train qu’il prendra pour Tianjin le lendemain matin.
A la gare, Deng et Song font connaissance. Et depuis, sous l’effet d’une amitié magique, les jeunes re-montent chacun leur pente, l’étudiant sous la pression de réussir coûte que coûte, et Deng, sous celle de re-maigrir. Durant les huit mois suivants, il parvient à reperdre 50 kg… La magie tient au fait qu’en plus de sa vie propre, chacun vit aussi celle de l’autre par procuration – ce qui en chinois se dit : 感同身受gǎn tóng shēn shòu -« sentiment de l’autre, perçu dans sa chair».
Sommaire N° 19