Le temps de fêtes en Chine tel le 1er mai est souvent celui de tournants politiques. Alors la presse, les analystes réagissent moins, et le Parti peut lâcher du lest sans avoir l’air de se déjuger ou réparer des erreurs.
Ce week-end du 1er mai donc, Pékin semble infléchir sa politique au Xinjiang. Il s’agit d’une question de fond.
Comme au Tibet, la Chine y poursuit depuis des décennies une politique d’assimilation ethnique rapide, incluant transferts de populations Han, exploitation du sous-sol et forte présence armée pour museler l’expression culturelle ou religieuse. Mais depuis 2008, cette stratégie a été mise en échec par les deux désormais célèbres séries d’émeutes violentes à Lhassa (14/03/08) et à Urumqi (5/07/09). Pékin a d’abord réagi par la répression mais sur le fond, depuis lors, il cherche la réconciliation -à condition qu’elle soit compatible avec le maintien de sa loi d’airain.
Or au Xinjiang, la série de mesures annoncées semble justement viser la cicatrisation de ces vieilles blessures :
[1] Fin avril, Wang Lequan, le secrétaire du Parti depuis 15 ans, de tendance dure, dont les Ouighours demandaient le départ, laisse place à Zhang Chunxian, l’ex-secrétaire au Hunan, plus jeune (56 ans) et modéré, qui passe pour priser davantage la prospérité que l’ordre musclé.
[2] Un règlement local du 27/04 impose le bilinguisme aux cadres, même ceux nommés depuis 2 ans. En plus du putonghua, les profs, policiers et autres agents devront parler, selon la région où ils travaillent, une des 12 autres langues non-Han (ouighour, kazakh, kirghiz)… Les fonctionnaires auront 18 mois et trois chances de passer l’examen oral -en cas d’échec, ce sera le licenciement. Cette mesure revenant en pratique à consolider le ouighour comme 2de langue officielle du territoire.
[3] Pékin annonce aussi le renforcement du soutien logistique à ce territoire potentiellement le plus riche du pays (par ses hydrocarbures, sa houille, son énergie solaire et éolienne), mais qui reste arriéré et un des plus pauvres. Deux projets apparaissent, chacun appuyés sur une conférence centrale sur le Xinjiang. Selon Xinhua, une 1ère réunion au sommet en mars, a approuvé un plan d’aide dans le cadre du 12.Plan (2011-2016) de 1,47 MM$/an. Il s’agit de la prolongation du plan «Go West» initié en 1998 à l’initiative de Zhu Rongji, qui fait parrainer chaque sous-région du Xinjiang par les prospères provinces de l’Est. 82 de ces villes ou préfectures seront bénéficiaires au lieu de 56 jusqu’alors, et les provinces donneuses sont portées de 16 à 19. Les jumelages sont d’autre part redistribués : les zones moins avancées comme Hotan et Kashgar étant confiés aux plus riches (Canton et Pékin), et les plus nordiques (Tacheng, Altay) au Heilongjiang, en raison de leurs affinités climatiques.
[4] Nos confrères du South China Morning Post évoquent une autre conférence centrale spécial Xinjiang, convoquée fin mai sous la présidence de Hu Jintao en présence du Politbureau au complet. L’objectif: affecter des financements sans précédent à des projets d’infrastructures dans le tourisme, l’énergie, l’acier, l’agro-industrie, la protection de l’environnement et le recyclage des déchets. On parle du double du PIB du Xinjiang (de plus de 3MM²), à verser par le niveau central.
NB: cette politique offre plus de langue locale, moins de leaders haïs, plus d’argent, mais pas plus de libertés culturelles ou religieuses, sans même parler d’autonomie locale. Les bornes historiques de la tolérance ne sont pas reculées. Question : un tel “new deal” suffira-til ?
Sommaire N° 17