A la loupe : L’Expo universelle, au télescope

Démarrée le 1er mai, l’Exposition universelle a pris son rythme de croisière, fantastique et épuisante, où tout site s’ingénie à capter l’attention.

Mais comme si visiteurs et pays avaient attendu du grand rendez-vous plus qu’il ne pouvait fournir, des soucis apparaissent dès le 1er jour. Les organisateurs avaient annoncé 70M de visiteurs en 6 mois, soit 380.000/jour. Or face au marathon rêvé, les débuts sont faibles : 215.000 le 2 mai, 130.000 le lendemain. Pire, 64% des 43000 surfeurs interrogés par Ifeng, le portail internet, déclarent qu’ils éviteront Shanghai pendant l’exposition. Soudain, professeurs et sociologues s’avisent que la fréquentation d’un événement est inversement proportionnelle à son accessibilité par les voies virtuelles de l’internet… D’autant que la télévision a saturé d’images glauques de files d’attentes de 4 heures pour un site, de femmes évanouies, d’enfants perdus… L’Etat se rassure en décomptant, au 6/05, déjà 33M de tickets vendus…

Côté France, quoique grand et doté de bons moyens (45M²), l’espace organisé par José Frèches avec le parrainage d’Alain Delon ne souffle pas l’émotion. En attractivité, le carré en résille de béton BCBG ne fait pas le poids, face aux folies conceptuelles du site nippon à la voilure rose (qui, bizarrement renonce à afficher son drapeau national, par peur de réactions xénophobes), du britannique aux 60.000 « cheveux » de fibre optique, des intelligents pavillons suisse et belgo-européen ou du fier « Burg » luxembourgeois en rouille de fer forgé. Parmi les critiques les plus entendues concernant le quadrilatère hexagonal : l’excès de tendance rive gauche peu compréhensible à des non-initiés, le refus d’explications afin de (sic) « ne pas rompre la fluidité du parcours » …

Un sport auquel se livrent les provinciaux: collectionner les «visas» des espaces nationaux, les timbres des pavillons à thèmes. Dès le jour d’ouverture, les 110.000 passeports avaient été avalés par la foule, en nombres bien insuffisants face à la demande. La suite, vous la devinez : la course de site en site, la queue recommencée sans rien visiter, pour parvenir à remplir ses 49 pages du carnet-souvenir. Dans l’Expo, ce petit jeu ré-égalise les chances : les grands pavillons étant soudain moins prisés, et les halles communes comme celle de l’Afrique ou des provinces chinoises plus courtisées, pour leur capacité à distribuer beaucoup de tampons en moins de temps…

Pas si bête, le passe-temps offre à ces millions de Chinois le loisir oublié par l’Etat : s’amuser, en dépit des ordres stricts de présenter «leur meilleur comportement pour montrer au monde que la Chine est devenue un grand pays ». Au nom de cet impératif, en ville, les magasins d’audiovisuel ont dû hypocritement cacher leurs CD pirates dans une antre secrète, et les vieux Shanghaïens remiser leurs pyjamas dans leurs armoires… Mais à travers l’Expo, le remplissage du passeport, la chasse aux « stamps » donne aux petites gens un jeu de piste imprévu, non balisé : une liberté de boy-scouts, qui parviennent à court-circuiter à la fois l’ordre moral local, et la tautologie stérile des branding nationaux !

 

 

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