A Fasi (Hubei), le 23/03, Chenghui et Lin, cousines de 10 et 11 ans, retournaient à l’école après avoir déjeuné chez les grands-parents -chez qui elles habitaient—leurs parents ayant migré en ville pour y travailler.
Il était 12h30, et il pleuvait. Détail banal, mais qui allait se graver dans leurs esprits à jamais, vu l’épreuve qui approchait, une femme au masque blanc sur le nez, quoiqu’aucun smog ce jour-là ne justifie telle précaution. « Bonjour les enfants», fit-elle, bouche en coeur, « savez-vous où est Wangjiawan? », avant de les prier de l’y conduire. Bien polies, elles acceptèrent (c’était sur leur chemin). Mais voilà qu’arrivés à cette rue déserte, deux hommes surgirent, qui les saisirent, jetèrent à l’épaule comme sacs de riz, avant de détaler avec la rabatteuse, sourds aux piaillements des gamines.
Après une demi-heure de marche à travers champs, le trio et leurs victimes parvinrent à une cabane de pêcheurs au bord d’un étang: ils s’y séparèrent, un des gars s’enfermant avec les enfants dans la bicoque, la femme et l’autre allant quérir une fourgonnette. De leurs chuchotis et de la route à faire qu’ils évoquaient, elles devinèrent que leur rapt avait été commandité. Leur sort était scellé, soit comme épouses forcées, soit comme futures prostituées. Elles sont des dizaines de milliers chaque an à subir ce sort, au service des dizaines de millions de jeunes campagnards privés d’épouses par le déficit en filles à marier, lui-même le résultat de la pratique de l’avortement sélectif…
A l’intérieur, sous le regard patibulaire du kidnappeur, les cousines pleuraient toutes les larmes de leurs corps. Bientôt Lin épuisée somnola, roulée en boule sur le sol en terre battue. Chenghui cependant, tout en pleurnichant d’un oeil, ouvrait l’autre grand, et ne perdait rien. A terre, parmi autres objets bons pour le rebut, traînaient quelques briques. A mesure que le temps passait, le bandit exprimait une nervosité croissante. Déjà dans la tête de l’écolière, un plan prenait corps.
Pour comprendre ce qui va suivre, il faut dire que les cousines, au fil des années partagées chez les aïeux, s’étaient créé des codes secrets: quand à 15 heures, Chenghui fit du coude à Lin, celle-ci saisit le message au quart de tour, et se remit à hurler de sa voix fluette et suraiguë. Exaspéré, le malfrat voulut la faire taire, la menaçant, l’attrapant par les cheveux, s’apprêtant à la corriger d’un bout de corde. Mais pour frapper, il fallait s’accroupir. C’était ce qu’escomptait l’aînée, qui espérait aussi tromper sa vigilance durant ces quelques secondes. En catimini, elle avait attrapé une brique : de toute ses forces, de trois-quarts arrière, elle le cogna à la tempe.
Le résultat dépassa ses espérances : il roula sur le côté, assommé. Aussitôt, les fillettes s’élancèrent, prirent la porte et la tangente vers le bourg. Pour autant, elles n’étaient pas sorties de l’auberge. Son étourdissement n’ayant duré que quelques secondes, le malandrin était à leurs trousses à grandes enjambées (car grand il était), comblant son retard à une vitesse désespérante. Ce qui les sauva fut un fossé entre deux rizières, ancien canal d’irrigation rempli de vase. Main dans la main, Lin et Chenghui avaient eu la chance de bien le passer, s’aidant des genoux et des mains. Stressé, l’homme tomba et s’embourba tandis que les fillettes disparaissaient dans le lointain.
Parvenues à la ferme, elles furent accueillies par leurs grand-mères et les policiers, qu’elles avaient alertés. Guidés par elles, Les hommes retournèrent illico à la cabane, mais trouvèrent le nid vide, les oiseaux envolés.
L’histoire fit grand bruit dans la presse chinoise. D’abord par le fait en soi rarissime, d’un kidnapping raté. Et surtout parce que « par culot et par ruse» (有勇有谋, yǒu yǒng yǒu móu), en gardant la tête froide, Cheng-hui et Lin avaient réussi à reconquérir leur liberté.
Sommaire N° 16