A 31 ans, Zhou Shuheng est quasi-analphabète. Ce qui ne l’a pas empêché de pondre un roman autobiographique à succès (« ouvrier paysan de Chine »), impressionnante fresque sur ses années de chien.
A Wanyuan (Sichuan), Zhou Shuheng eut le malheur de perdre sa mère à l’âge critique de 15 ans. Un an plus tard en 1996, la faim le faisait fuir à Fuzhou (Fujian), où débuta pour lui un rude apprentissage, du style « l’homme est un loup pour l’homme ».Il fut plongé dans des tâches dangereuses et sales, abusé au point que ce soit lui qui doive de l’argent au patron lors de la « paie». Durant des ans, il connut la misère, et la rue. Vendeur à la sauvette, il dut se fier à ses jambes pour détaler quand surgissait le chengguan, gendarme municipal. Mais qu’il vende des stylos ou distribue des pubs, ses pas le ramenaient toujours aux portes des campus, des étudiants qu’il admirait et avec qui il ne perdait pas une occasion de bavarder, affinant son langage. C’est en telles circonstances qu’ en 2000, il put bénéficier d’une formation à l’ordinateur : pied à l’étrier pour les métiers du commerce, où il pouvait combiner ces techniques de l’internet, à son bagout d’enfant de la balle.
10 ans dans ces faubourgs suffirent à lui apprendre que nul ne ferait sa vie à sa place. Pour quelques sous, il ac-quit 6 PC et sur ces vieilles «bécanes», il se mit à offrir à son tour des formations bas de gamme aux paysans sortis de leurs campagnes.
Et puis voilà qu’en 2008, congédié pour la nième fois, il dut pour survivre, faire livreur à vélo. Entre ses courses, il avait parfois des heures vides: se jetant à l’eau, il se mit écrire l’histoire de sa vie. Trempant sa plume aux encres de l’humour et du témoignage, il dit tout: les arnaques dont il était victime, les horions échangés avec les vigiles pour défendre le salaire d’un compagnon. Il conta le déracinement, le racisme latent de la terre d’ accueil, les longues lettres avec le village, le capitalisme sauvage, la jungle qui dévorait les ouvriers-paysans, chair à canon du miracle chinois. Se libérant par l’écriture de son roman picaresque, Zhou avoue avoir plus d’une fois senti ses yeux s’embuer, au souvenir d’un si dur passé.
En sept.’09, le livre achevé, notre écrivain en herbe découvrit vite qu’aucun éditeur ne parierait un «fen» sur le pavé (450.000 caractères) d’un total inconnu n’ ayant même pas le bac.
Mais pour ce garçon habitué à toujours se battre, pas de problème : il fit appel à des amis qui postèrent son fichier sur la toile d’un portail littéraire. Et ce fut le miracle. Dès décembre, le texte avait été téléchargé pas moins de 500.000 fois. Extatique, la critique croyait découvrir en Zhou Shuheng un Zhang Yimou de l’écriture. Son histoire émouvait et interpellait—tout le monde s’y reconnaissait. Aussi, dès janvier, une grande maison l’éditait—en deux tomes !
A présent, pour Zhou Shuheng, la traversée du désert est finie : c’est la célébrité, la télé, les interviews sans cesse. A présent riche, ayant percé, il se fait un point d’honneur à ne pas tourner le dos à ses chers mingong. Il prépare en leur honneur le film du roman, rédige des brochures éducatives leur révélant leurs droits. Zhou prend enfin le temps de s’occuper de celle qui partagea ses temps de misère, et de leur fils, à qui il veut léguer la bonne éducation dont lui-même fut privé.
Rétrospectivement, ce qui frappe le plus ses proches, est la facilité avec laquelle ce garçon peu éduqué, mais surdoué, a commis son oeuvre : comme «sur la hanche du cheval» (倚马可待 Yǐ mǎ kě daì). En français, on dirait « les doigts dans le nez » !
Sommaire N° 15