La sécheresse frappe l’Asie et la Chine avec une violence inouïe. Selon le ministre Chen Mingzhong, les fleuves sont à 40% du normal, et 600 rivières sont à sec. La crise sans précédent change la donne de l’eau: pour la 1ère fois, l’Etat trouve une opposition frontale à ses projets -d’autant plus fort que ces derniers ont été plus souvent imposés que négociés, sur son sol comme en dehors.
[1] Du 3 au 5/04, la Commission du Mékong réunissait à Hua Hin (Thaïlande) les pays riverains. Pékin s’y efforça de présenter la canicule comme une catastrophe inévitable et universelle. Mais l’idée fut rejetée par quatre pays, dans un manifeste réclamant de la Chine plus de concertation et coopération dans ses projets hydrauliques.
Le 1er min. thaï A. Vejjajiva avertit que le Mékong ne «survivrait pas sans gestion responsable»: allusion à cinq méga barrages chinois projetés sur le fleuve. Ce que la Chine risque de perdre à présent, est son image de géant protecteur et bienveillant, qu’elle a eu tant de mal à mettre en place.
[2] En Chine-même, l’opposition s’élève contre le pharaonique canal Sud-Nord, supposé drainer 50MMm3/an du Yangtzé au Fleuve Jaune.
Entamés depuis 2002, les travaux des deux tracés Est et Centre ont pris 4 ans de retard, désormais annoncés pour 2013-14, et leur budget initial de 62MM² est depuis longtemps dépassé. Or, à présent sept provinces de l’intérieur, où il ne pleut plus depuis août 2009, se rebellent sur l’idée de céder leur eau à Pékin, de plus sans qu’on la leur paie. «Il est temps de réévaluer le projet du tracé Ouest», dit Yang Yong, géologue sichuanais, « la catastrophe du Yunnan nous montre bien que Centre et Sud n’ont pas forcément d’eau excédentaire».
Curieusement, l’argument semble partagé à Pékin-même: l’étude de faisabilité du tracé Ouest a été interrompue en 2009 et Li Keqiang, vice 1er ministre en charge du projet, n’aborde plus le sujet en public…
[3] Un autre marotte hydraulique du socialisme chinois souffre elle-aussi.
Issus du protocole de Kyoto, les «crédits carbone», permettant de faire financer par l’Ouest des barrages ou centrales d’éoliennes subissent une énorme crise de confiance. Pour tenir leurs engagements de coupes d’émissions de Gaz à effet de serre, les firmes d’Europe achètent au tiers monde ces crédits («CERs Certified Emissions Reductions», ou «crédits UE»): ces centrales devant permettre, en principe, de fermer des centrales à charbon polluantes. Très bien organisée pour exploiter ce mécanisme mondial, la Chine est parvenue à accaparer 67% du marché des crédits-carbones.
Or, le lobby «International Rivers» crie à la triche: ces projets chinois auraient été construits de toute façon, ils n’ont pas fait fermer des centrales thermiques. Leurs dossiers ont été falsifiés et pour comble, ils auraient causé des expropriations massives mal compensées.
Conséquence, l’ONU a rejeté 38 barrages chinois en février, puis en mars 14 éoliennes, et la Bourse climatique européenne, qui attribue les crédits Union Européenne, confirme son boycott de tout projet de grand barrage (sous entendu : chinois).
En termes pratiques, le système est si discrédité, que ces crédits carbones, en l’état présent, semblent voués à une disparition à terme. Faut-il le préciser? L’image de la Chine ne ressort pas renforcée.
Sommaire N° 14