Dans le procès intenté en mars aux quatre hommes de Rio Tinto, le verdict s’est avéré aussi rapide – 8 jours, au lieu d’un mois- que sévère : jusqu’à 14 ans, et 10 ans pour Stern Hu, son ex-représentant en Chine, citoyen australien.
Arrêtés en août 2009, les hommes étaient accusés de corruption et d’espionnage industriel. Toute l’affaire repose sur la réglementation d’import du minerai, réservé aux 30 grands groupes sidérurgiques. Mais des dizaines d’autres aciéries barrées d’un marché crucial à leur survie, monnaient en sous-main le rachat de parts des quotas des gros, qui prospèrent ainsi par pure spéculation. Représentant du 1er minéralier mondial et 1er fournisseur de la Chine, Stern Hu et ses trois cadres détenaient le «robinet» de cette manne: ils n’ont peut-être pas su résister à la tentation. De même, à travers tous ces clients redevables, ils avaient accès à une mine d’infos en or pour Rio, lequel a pu les mettre à profit dans les négociations intenses de l’époque, pour le renouvellement du prix annuel : un dossier encore si sensible aujourd’hui, que Pékin a imposé le huis-clos sur une partie du procès. Après le verdict, le juge commentait que les indiscrétions des 4 avait coûté « 1MM¥» de préjudice aux fondeurs chinois.
Face à l’embarrassant procès, Rio a joué «l’échine souple», seul choix stratégique concevable pour ce Goliath-marchand, face à son Goliath-client, mariés malgré eux par leur complémentarité. Dans l’heure du verdict, Rio Tinto licenciait ses quatre employés : se défaussant ainsi sur eux de toute faute éventuelle de sa propre part.
Avec BHP-Billiton et Vale, ses partenaires du cartel concentrant 70% de l’offre mondiale, Rio a tiré une autre leçon de ces péripéties: le prix de référence annuel avait fait son temps. A ces trois groupes ainsi qu’à leurs clients, durant 40 ans, il avait assuré une garantie de prix et de volumes. Mais en déc. 2008, quand les prix de 200$/t s’étaient effondrés à 55$/t sur le marché libre, les clients a-vaient renié leurs engagements: les Européens en commandant moins, les Chinois en se fournissant plutôt au marché «spot». Conclusion prononcée le 30/03 par Vale et BHP: quittant le prix annuel, les vendeurs vont fixer leurs tarifs chaque trimestre, suivant la seule loi de l’offre et de la demande. Les usagers perdent ainsi la stabilité et la chance d’un prix préférentiel. Pour commencer, les premiers contrats 2010 accusent une hausse de 90% par rapport à l’an dernier.
Rio Tinto encaisse donc avec le sourire ce verdict aux dépends de ses employés. Il n’en va pas de même pour l’Australie, dont le 1er ministre Kevin Rudd dénonce des peines trop rigoureuses, peu conformes à la tradition de son pays. Canberra se choque moins du déni de transparence au procès de son ressortissant, que du non-respect d’un accord bilatéral qui prévoyait la présence de son consul au procès de Shanghai. On sent aussi dans ces reproches une solidarité avec Londres et Washington en termes aussi tendus avec Pékin depuis décembre 2009. Comme si le monde anglophone, instinctivement, pratiquait la communauté de destin. Rudd commente qu’entre leurs pays, le chemin rencontrera « toujours des cahots ».
Pour aplanir ces derniers, Rio Tinto a fait appel, dit-on, à Henry Kissinger, aux relations pékinoises anciennes et influentes. Pour Tom Albanese, PDG de Rio, le prix Nobel de la paix aurait obtenu une entrevue avec Wang Qishan, le responsable du dossier au Politbureau, voire négocié pour le groupe les termes de la réconciliation.
Sommaire N° 13