Comme on l’a vu avec son plan de TGV-Asie (Vdlc n°10), la Chine déploie des projets ferroviaires pharaoniques. Depuis janvier, le Ministère des chemins de fer a commandé à ses groupes industriels 6000km de «CRH» (China Rail Highspeed) à 250km/h ou plus. C’est le quadruple du réseau français, lequel a mis 25 ans. Entre Tianjin et Baoding, le dernier chantier (annoncé le 21/03), prévoit 3,5MM$ d’investissement pour 158km de ligne mixte fret/ passager. Le 14/03 Wang Zhiguo, n°2 du Ministère, annonçait pour 2010 la ligne Canton-Shenzhen, pour 2011 celles Pékin-Wuhan, et dès 2012 quelques 13000 km de CRH, mettant Pékin à «moins de 4h» de Shanghai, à 380km/h de moyenne, précise Zhen Jian, patron du programme.
Ces fulgurants progrès ont été facilités par des financements en centaines de MM$, renforcés par le stimulus public. Exception dans l’économie chinoise, le rail est le seul secteur entièrement centralisé, sous le Ministère des chemins de fer, proche de l’armée. Face à la concurrence internationale divisée, le Ministère dispose d’un puissant levier sur des leaders tels Siemens, Kawasaki, Bombardier, Alstom. Il les a invités à ouvrir leurs usines avec des partenaires régionaux, leur a octroyé quelques contrats. En échange, ils durent former leurs futurs rivaux et leur céder le meilleur de leur savoir-faire, selon le principe dit «introduire, digérer, absorber, innover». 5 ans plus tard, la Chine détient sa techno-logie propre, manteau d’Arlequin basé sur des trains allemands et nippons. Conçus pour du 300km/h, ils ont reçu d’autres moteurs pour tourner à 350km/h sur des lignes comme Pékin-Tianjin et Chengdu-Canton: record mondial commercial.
Telle est la limite de ce succès: cette filière n’est ni testée, ni validée par groupe indépendant en terme de fiabilité, de sécurité et surtout de rentabilité. Légalement, elle est ; pour l’instant, inexportable.
«Aujourd’hui, faire tourner des trains à 300km/h dans des conditions raisonnables de sécurité», dit ce témoin, «ne pose aucun problème. La difficulté est celle du coût d’exploitation». Passés 320km/h, s’usent caténaires, rails et moteurs, tandis que la consommation en électricité s’envole. Les coûts d’entretien de ce matériel neuf n’apparaissent pas encore. A tout le moins, la dépense en électricité d’un CRH à 380, voire 420km/h tel qu’annoncé par le vice ministre Wang, sera incompatible avec le plan national de baisse de l’intensité énergétique.
Une autre étrangeté tient au dépôt à l’office national des brevets de 940 licences propriétaires en technologie de TGV (ingénierie, signalisation, gares, intégration et maintenance). Mais quelle est l’utilité de cette démarche, alors que ces brevets n’ont pas cours hors du pays et que pour tel ou tel choix d’équipement, le Ministère souverain n’en a pas besoin?
La réponse, ainsi qu’à celle de la course très coûteuse au record de vitesse, tient à une volonté d’annonce : celle de l’arrivée de la Chine sur ce marché du TGV. Le record de vitesse commerciale que la Chine va encore tenter d’augmenter vise à frapper les esprits pour établir une supériorité technologique de l’Empire du Milieu. L’annonce des brevets propriétaires, suggère une future certification internationale, rendant le TGV chinois exportable d’ici 5 à 10 ans sur les marchés riches d’Europe et d’Amérique, ce qui est le véritable enjeu.
Tout ceci, à condition que le système qui se met en place, démontre au fil des ans sa fiabilité et sa rentabilité et notamment évite des accidents sérieux, comme celui qui causa 70 morts et 400 blessés à Zibo (Shandong) en avril 2008, à bord d’un train classique ayant franchi un aiguillage à 120km/h…
En résumé: la Chine a gagné le pari d’ un TGV à bas prix et de qualité raisonnable, alors que ce transport de masse et à basse pollution s’apprête à un essor sans précédent. La Chine semble viser l’exclusivité de son marché. Comme l’a fait le Japon. Mais saura t’elle faire mûrir cette technique d’emprunt? L’étranger ne peut qu’espérer un échec de sa démarche, ne serait-ce que pour l’intégrer au marché planétaire.
Sommaire N° 12