Editorial : Caléidoscope de saison

Depuis 1951, la Chine n’avait plus eu si froid. Les 3-4 janvier sur Pékin, par -8°C, tombèrent 33cm de neige. Or cette ville au sol aride est peu habituée au blizzard : elle fut paralysée, rues désertes au silence féerique, métro bloqué. Entre Pékin et Tianjin, 3500 écoles furent fermées, 2,2M d’enfants consignés, et des millions d’ouvriers et employés en chômage technique. A l’aéroport de Pékin, une seule des 3 pistes restait ouverte, 500 vols furent annulés (des milliers fort retardés).

Face au blizzard, on put constater la formidable capacité chinoise à compenser un handicap en outils modernes par l’injection massive de bras disciplinés. Trois jours durant, 300.000 soldats et volontaires s’escrimèrent sur l’envahisseur blanc, armés de courage et racloirs bricolés. L’aéroport déploya un antique «chasse-neige», réacteur de Mig sur un châssis de camion. Ces techniques pittoresques furent efficaces : dès le 6/01, la capitale était fonctionnelle.

Le tour du reste du pays ne tardait pas à venir. En Mongolie Intérieure, les 1400 passagers du train Harbin-Baotou, piégés 30 heures par -28°C sous le blizzard, durent leur salut aux centaines de soldats et paysans qui, à la pelle ou à la main brisèrent leur sarcophage blanc de 2m. de haut. Le 6/01 sous un soleil pâle, le froid s’intensifiait (-19° à Pékin) et gagnait Shanghai puis le Hunan au sud, Urumqi à l’Ouest (à 4500km), causant des coupes d’électricité dans la plupart des villes, aux stocks de charbons limités.

Quel bilan? La quarantaine de morts, les centaines de millions ² de dégâts déjà estimés vont s’alourdir. Un nouveau front neigeux était annoncé pour le 8/01, faisant risquer au pays entier une nouvelle catalepsie…

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Londres émet (29/12) « ses plus vives protestations » après l’exécution (24/12, Urumqi) pour trafic de drogue d’Akhmal Shaikh, britannique d’origine pakistanaise. Le Foreign Office argue que l’homme était malade mental, et que Pékin avait passé outre 27 prières de sa part, à la Cour suprême, pour une évaluation psychiatrique. De fait, l’ex-taximan converti en homme d’affaires pouvait sembler un peu illuminé, venu en Chine faire carrière de pop star et promouvoir la paix au monde au moyen d’un lapin blanc aux pouvoirs surnaturels. Pour Londres d’autre part, la date de l’exécution huit jours après l’issue catastrophique du COP15 à Copenhague (cf p3), n’arrangeait rien.

Dans ce procès forcément politique, Pékin n’a pas tous les torts – pour ceux, dont nous ne sommes pas, qui admettent la peine de mort. Contre la drogue, le plus souvent importée clandestinement, la Chine comme toute l’Asie se défend par des lois sévères. Une fois pris (1/10, selon l’estimation courante), les passeurs plaident souvent l’irresponsabilité mentale et disent avoir été piégés par des inconnus : ce qu’à fait Shaikh. Enfin, corollaire inévitable de l’ouverture au monde, de plus en plus de crimes et délits majeurs sont commis en Chine par des étrangers. Or depuis 1951, ces derniers protégés par leur passeport n’avaient jamais été exécutés : il fallait bien qu’un jour ou l’autre, ce privilège injustifiable cesse. Dans ces conditions, Pékin semble avoir choisi son cas avec le dernier soin pour passer à l’acte sur un cas indiscutable, et donner au crime mondial un avertissement sans frais.

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Sur l’affaire de Liu Xiaobo aussi, Pékin applique sa logique glaciale, condamnant à 11 ans de geôle (25/12) ce brillant chef de file de la dissidence de 54 ans, sous le chef d’accusation de subversion de l’Etat socialiste. On lui reproche d’avoir rédigé l’an dernier la Charte 08, cosignée par 300 intellectuels, qui remerciait le régime pour ses résultats mais estimait les temps murs pour un tournant démocratique, avec élections et séparation des pouvoirs.

Depuis 1991, trois ans de camp et des assignations à résidence n’ont pas brisé la volonté de Liu Xiaobo. La dureté rare du châtiment éclaire une vulnérabilité du système, face à cette Charte qui conteste son choix de ne rien concéder en réforme politique d’ici le XVIII. Congrès de 2012 : l’actuel Comité Permanent a indiqué son voeu de laisser à ses successeurs une Chine conservatrice, «dans l’état où il l’a trouvée».

En Chine, la Charte semble avoir eu un faible retentissement (cf ci après notre article « censure de l’internet »). A l’étranger par contre, la condamnation de Liu Xiaobo pour simple délit de divergence, le place instantanément en tête de la liste des hommes à défendre, tant côté de l’Union Européenne que de celui des USA. Aussi, sans rien prendre pour gagné d’avance, il semble envisageable que Liu Xiaobo ne purge qu’une partie de sa peine, et puisse être élargi et expulsé du pays, le jour où Pékin aura un besoin sérieux de faire plaisir à ses partenaires.

 

 

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