Sous l’angle nuptial, la Chinoise vit ce que vécurent ses soeurs d’Europe ou d’Amérique un siècle en arrière. Passée la 30aine, pour celles non casées, point de salut : elles doivent se résigner au sort de vieille fille.
A Chengdu (Sichuan), Liu Landie n’est vilaine ni de corps, ni de visage, mais pas assez soignée: ni attifée, ni maquillée, choses pour elle «sans importance». C’est par l’esprit que Landie a voulu briller, toujours 1ère à son lycée (le meilleur de la ville). Après un excellent bac, des études à l’Université du Sichuan conclues par un doctorat, elle se vit offrir un poste de direction à un des bons hôpitaux de la ville, avant d’être rappelée par son université comme enseignante: la consécration !
Mais pour Fu sa mère (58 ans), tout cela n’est rien, sans un mari: malade de la voir seule à 29 ans, elle a pris les choses en main en 2004. Qu’il pleuve ou vente depuis lors, elle passe trois après-midis par semaine au Parc du peuple, au «coin des esseulés» (Xiang Qin 相亲). Elle y suspend ses affiches « fille à marier », le CV, les photos, l’âge de sa fille qu’elle ajuste chaque année. Autour d’elle foisonne cette faune de parents cherchant «chaussure au pied » de leurs rejetons.
Mais pour la pauvre, ses cinq ans d’essais sont cinq ans d’échec. En partie, elle le doit à ses trop hautes attentes. Fu ne peut admettre que la fortune du futur gendre soit hors de proportion de ses propres moyens. Pas la peine non plus d’aller guigner sa fille, s’il ne jouit d’un diplôme bac+3, d’un gagne-pain, d’une bonne santé, et n’est indemne de la tare du divorce.
«Je ne réclame pas la lune, quand même ! », tonne la vieille, pour cacher sa déception. Car en ce parc du Peuple, ils sont 85% à courir après la même perle rare, un «BCBG», bien sous tous rapports. Résultat inévitable : ils se partagent les laissés pour compte, homosexuels visant un mariage écran de fumée, coureurs de fortune, paysans sans fortune ni éducation. En cinq ans, Fu n’a récolté que 10 coups de fil (2 par an) et cinq rendez-vous, parmi lesquels celui obtenu par une mère menteuse, au fils soi disant «avocat» mais en réalité chômeur et sans nul diplôme !
Parfois, des passants bien intentionnés conseillent à Fu de retoucher le portrait : rajeunir sa fille de quelques années et surtout cacher son doctorat. Autrement son cas est sans espoir : incasable, car atteinte des sangao 三高, des «trois choses trop hautes» que sont son âge, son diplôme et son salaire . Tout ce-la refroidit les gars. Un tel «foudre de science» ne fait jamais une bonne épouse au foyer, tout le monde sait çà! Que Landie ne fasse pas la fière, et prenne celui qui se présentera sans regarder aux imperfections, comme dit le dicton : «voir la fleur du haut du cheval » (走马看花, zǒu mǎ kàn huā)…
Depuis ’07, rongée du sentiment de son échec, la mère Fu s’est laissée entraîner à des manoeuvres à la limite de la folie. Sur une carte de visite, elle a fait imprimer son autocritique, s’accusant d’avoir fait de sa fille une bête à concours et de l’avoir détournée des garçons. Ce carton, elle le distribue à tort et à travers dans la rue -sans autre réaction bien sûr, que des regards gênés ou des lazzis !
Tant de remous embarrasse Landie, la jeune docteur d’Etat. Avouant s’être montrée trop froide au sexe fort et avoir mal géré cet aspect de sa vie, elle invoque mille motifs pour absoudre sa mère: «dans nos bureaux, il y a peu d’hommes, et puis mon projet de recherche m’occupe à temps plein ». Mais elle compte réagir : sous-traiter son problème auprès de collègues et d’amis, pour qu’ils lui trouvent son «Mister Right».
En fin de compte, la vie de Liu Landie pourrait résumer une mutation invisible, qui bouleversera l’avenir de son pays : doucement mais sûrement, la société chinoise s’oriente vers le matriarcat. Les femmes discriminées travaillent plus dur pour remonter leur handicap, et accèdent à des responsabilités toujours plus hautes. Face à quoi les hommes mauvais perdants, les boycottent comme leurs compagnes.
Pour Landie, les choses sont claires : elle ne veut plus d’un mariage de convention. En attendant l’union exaltante de ses rêves d’adolescente, elle reste avec le compagnon fidèle de ses jours, et qui au moins la réalise : la carrière !
Sommaire N° 9