En nov. 2000, la presse chinoise publiait à grand tambour l’info sensationnelle : 100.000 jeunes femmes, 13.000 enfants enlevés venaient de recouvrer la liberté, suite à un rare coup de filet à travers le territoire, qui ne se renouvela plus depuis.
L’enlèvement est hélas une tradition séculaire en Chine: les zones rurales riches en argent mais pauvres en enfants, commandent progéniture aux gangs qui s’approvisionnent dans celles populeuses et mal nanties.
Si le calvaire de Wang Ren mérite sa place en nos colonnes, c’est en raison de la durée infiniment longue de sa séquestration, et de sa fin atypique.
A Jiangyou (Sichuan), on n’était pas riche en 1982. C’est dans la cour de la mairie que le petit Ren était parti regarder la télé noir et blanc, avec sa grande soeur, les devoirs faits, l’après midi du 11 mars. Une heure après, sentant une petite faim, il était rentré seul en leurs pénates. Passant le porche, il fut abordé par un grand escogriffe inconnu, qui lui proposa aimablement de le ramener sur son vélo.Ca faisait une trotte jusqu’ à sa maison : justement, il passait par là… On n’est pas bien méfiant, dans ces montagnes, surtout quand on est garçonnet de 5 ans: il se mit à califourchon sur le porte bagage. Mais quand ils arrivèrent à hauteur de chez lui, l’homme pédala comme un dératé. Et quand Wang Ren se mit à hurler (beaucoup trop tard, ils étaient déjà hors du village), l’homme lui passa sur les livres un doigt enduit de drogue, qui l’endormit : il venait de tout perdre (identité, liberté, famille) – sauf la vie.
Après les 40h de train en larmes, à plusieurs kidnappés et plusieurs geôliers, il fut vendu à Liaocheng (Shandong), 3000km plus à l’Est. Il s’appelait désormais Yue Suimin, du nom des acquéreurs. Wang alias Yue ne fut pas mal traité : c’était pour perpétuer son nom (sinon son sang) que ce clan l’avait acheté, et il le traitait comme un fils, déversant sur lui ses espoirs. Des 13 ans qui suivirent, pourtant, Wang garde mauvais souvenir. L’amour qu’on lui portait ne suffisait pas à gommer la mémoire. Il ne se donna jamais, mais devint perturbé par sa double identité, le conflit entre la gratitude due à sa « famille », et le regret du paradis perdu. Du matin au soir, compromettant sa réussite scolaire, Wang restait «dans les nuages du logis des parents » (白云亲舍 bái yún qīn shè): son seul refuge. Plusieurs fois, il s’attira les foudres du père d’adoption : pour avoir reposé la question de son origine, de sa famille de sang.
Interrompant ses études peu après le bac, il prit ses distances: réfugié à Pékin, il s’était trouvé un emploi -et recherchait à moment perdu, ses parents sur internet, au cybercafé. Un site existait, «宝贝回家 Bao Bei Hui Jia» («le petit chéri rentre à la maison»), offrant une aide pour les rassemblements familiaux et une assistance psychologique. Des volontaires l’aidèrent à dépasser son traumatisme, prendre ses marques, prendre femme.
La merveille, dans cette histoire, est que ses parents aussi, comme lui, n’avaient jamais cessé de le chercher. Par cercles concentriques, ils sondèrent le Sichuan, puis le pays. Puis comme ces démarches restaient sans fruit, à l’orée du 3ème âge, ils passèrent sur internet, se mirent à l’ordinateur. Un parent de Guangzhou montait à Pékin pour suivre les Jeux Olympiques : ils lui remirent des milliers d’affichettes à distribuer en route. C’est grâce à cette annonce que des mois plus tard, l’association tian xia xun ren wang 天下寻人网 («retrouver les gens sous le ciel ») s’intéressa à leur cas, soutint leur recherche.
Dès lors, les événements s’accélérèrent, automatiques. En février 2009, comparant leurs fiches, les associations, firent le lien et après vérification (histoire de prévenir les faux espoirs), informèrent Wang Ren. Le soir même, à Jiangyou, le vieux Wang Qihao recevait l’appel d’un inconnu: Wang Ren, son fils de 32 ans ! C’est ainsi que la famille passa son 1er « chunjie » réunie, et même complétée de la bru enceinte.
Croyant plus que jamais à sa bonne étoile, Wang Ren remercie le boeuf, l’empereur astral de l’année, de lui avoir été propice, lui ayant octroyé à la fois un fils, et ses parents !
Sommaire N° 8