Petit Peuple : Dahonghu: la musique qui déplace les montagnes

En 1971, Ding Xing sortait diplômée de son école normale de Changshou avec une spécialité rare : professeur de musique. Changshou se trouve en banlieue de Chongqing, environnement sichuanais de villes-dortoirs et de villages privés de tout : pas le terreau idéal pour l’art. Comme Ding Xing était d’un naturel agréable, de surcroît bien notée, ses supérieurs lucides et généreux l’avaient affectée à Chongqing : pour un premier poste, c’était la chance à ne pas manquer !

Aussi quelle ne fut pas leur stupéfaction, lorsqu’ils virent la jeune prof refuser, et réclamer un emploi à Dahonghu, l’école de son village, encore plus perdue dans les collines. De s’enterrer de la sorte, à 21 ans, elle était folle, pensèrent-ils.

Une fois sur place, il lui fallut peu de temps pour réaliser l’aspect sordide, quasi désespéré de l’exil qu’elle s’imposait.

A cette école intermédiaire, estimant leurs disciplines «bien plus utiles », les profs de chinois ou de maths avaient fait collusion pour squatter ses heures de solfège avec la complicité du directeur. Et en instrument, faute de bonne volonté de la direction, les mômes ânonnaient les notes sans voir l’ombre d’un pipeau ou un tambourin.

Très vite, Ding Xing se rebella. Elle défendit sa discipline comme une chienne ses petits. D’ordinaire douce et polie, elle aboya, dénonça l’illégalité de cette dérive non conforme au programme. Elle cria à la discrimination de classe : les enfants de fermiers n’étaient ni plus bêtes que ceux de la ville, ni condamnés à dénicher les oiseaux. En un mot : même les paysans avaient droit à l’art. A force de meetings, elle arracha le rétablissement de ses heu-res et tambour battant, créa une chorale, un ballet ouvert à tous, hors des heures de cours.

Mais sa fronde ne lui avait pas valu que des sympathies. Les professeurs principaux ne rataient jamais une occasion de remonter les parents contre elle : «Nous les paysans», glissaient-ils, « ne pouvons gâcher la chance de nos enfants. La patrie offre à nos gamins de devenir ingénieurs ou marchands: si vous écoutez cette égérie, leur avenir est compromis. Vous ne croyez tout de même pas que votre fils deviendra premier violon à l’orchestre national ?»

Au début, les parents ne demandèrent qu’à les croire. La musique, pour eux, c’était des « pois germé » – du temps perdu. Ding Xing connut un échec frontal avec la petite Fangfang, au corps de ballerine, d’une merveilleuse souplesse, qu’elle venait de découvrir dès la 1ère heure de cours de ballet : le père la retira de l’école, prétextant un collant impudique… En réalité, il avait  besoin d’elle aux champs (partout en Chine rurale, quand il faut choisir, pour les études entre sa fille et son garçon, c’est celui là qu’on privilégie !  

Ding Xing persista. En ’90, elle créa « Fleurettes rouges », troupe de ballet d’enfants, tous volontaires. Faute de local, ils répétaient aux champs, parfois dans la neige.

Petit à petit, le vent tourna. Dès juin 1995, fut organisé le premier spectacle au village: ravis du rare divertissement, et comme il y avait panne d’électricité, 900 parents fiers comme des empereurs battirent la semelle jusqu’à 10h, et que la lumière revienne : le show fut si applaudi que la maître de choeur balaya le soir même ses derniers doutes, résolvant de rester au village jusqu’à son dernier souffle.

Depuis lors, Ding et sa troupe de Dahonghu volent de succès en succès. En près de 40 ans, quelques dizaines de ses mômes ont accédé aux meilleures universités, Renmin (Pékin) ou Fudan (Shanghai). Tian Li, sa fille adoptive (18 ans), ballerine, est entrée au conservatoire du Sichuan -un des meilleurs du pays, d’où elle commence à rafler les prix des concours nationaux.

La gloire aplanit bien des problèmes : aujourd’hui, son petit conservatoire compte 500 élèves sélectionnés de toute la région. Tout cela pour avoir su demeurer 坚如磐石 jiān rú pán shí, « ferme comme un roc » : pour avoir deviné qu’il n’y a pas que la révolution, mais aussi la musique qui déplace les montagnes.

 

 

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