New Oriental (Xindongfang) est la plus célèbre école privée de Chine. Dans la plupart des 32 provinces, elle forme les étudiants aux examens d’anglais (degré 4 et 6) nécessaires à l’université et bien sûr, pour étudier dans le monde anglophone. Son succès reflète évidemment la fascination chinoise pour l’Amérique, qui poussait dès 2002, 200 millions de Chinois à potasser l’anglais.
Mais comment chaque semestre, garder l’attention de ces dizaines de milliers de potaches aux QI si variés ? A l’école de Changsha (Hunan) Zhou Sicheng, professeur de 26 ans, pratique une méthode plus qu’étrange, qui lui vaut un engouement confinant au fanatisme. Son amphithéâtre de 200 à 300 places est toujours plein un bon quart d’heure avant le début du cours. Sa recette ? Entre une liste indigeste de mots commerciaux et une page de Hamlet, il danse devant eux, tango ou rock selon inspiration, ou la dernière danse « in », qu’il vient d’apprendre sur internet.
Pour varier, il peut aussi chanter, ou faire chanter. Ainsi quand il surprend une fille à taper un texto à son «petit miel» au lieu d’écouter sa question, plutôt que de la punir ou de lui faire perdre la face, Zhou réclame une chanson, et l’accompagne. La leçon est simple mais efficace: «en trois ans», ex-plique-t-il, «c’est leur avenir qui se décide, et le marché du travail est impitoyable. Beaucoup doutent d’eux -mêmes. Alors en dansant, je leur fais oublier leur stress. C’est bon pour eux – ils réussissent mieux à l’examen ».
Tout Changsha s’accorde à le reconnaître: par rapport aux autres étudiants, les poulains de Zhou Sicheng maîtrisent mieux l’anglais -et s’avèrent aussi meilleurs cavaliers et cavalières. Aussi en 2008, au traditionnel hit-parade sur la toile, du professeur de Xindongfang le plus « lei » 雷 (sympa) du pays, c’est Zhou qui sortit premier devant les 6000 autres.
Tout le monde pour autant n’aime pas son style -certains le trouvent efféminé. Un jeune s’est un jour plaint qu’il ait empesté sa salle de son parfum aérosol, afin d’en dissiper l’odeur de renfermé. L’an dernier d’ailleurs, la direction à Pékin s’est crue obligée d’interdire la danse en classe. Zhou respecte l’interdit, mais se permet quand même de passer, pendant les pauses, ses vidéos à qui veut les voir, c’est-à-dire tous ses élèves sans exception, soit plus de 20.000, depuis 2005.
On peut toutefois aussi comprendre la réaction de New Oriental : l’école est contestée de l’extérieur, et tient à sa réputation. Son succès ne la met pas à l’abri des voix pincées de l’université, qui la traite en paria, aux profs mal formés et aux diplômes en bois. Zhou lui-même n’a jamais passé son bac, et avoue n’avoir dû sa place en fac, qu’à son art du tango et du chachacha.
Ce qui d’ailleurs permet de voir sa danse sous un autre angle : comme une forme de «lutte des classes scolaires», de contestation d’une pédagogie poussiéreuse par des profs jeunes et proches de leurs élèves.
Zhou se rappelle des débuts ingrats, du temps où il cherchait à se faire accepter. Il avait d’abord essayé les trucs des collègues, le style compassé-british, ou l’arrogant-yankee. Jusqu’au jour où il s’est rappelé ses talents de toujours, de ténor, de violon et de danse. Flanquant alors son trac aux orties, il s’est mis à faire le spectacle sur l’estrade. L’acte était inconscient, mais la réaction des élèves le stupéfia. Son art leur faisait l’effet du sel aux chèvres, comme la matière dont ils avaient la plus forte carence : l’art de « hisser le drapeau de soi-même » (自树一帜 zì shù yī zhì) – d’exprimer son propre style.
Sommaire N° 39