Petit Peuple : Panjin : réveil au bord de l’abîme

Ma Honggang vivait à Panjin (Liaoning), friche industrielle et région pauvre s’il en est, aux villages sans services, aux éco-les sans matériel ni maîtres bien formés. D’une telle précarité, on ne rêve que d’en sortir à tout prix. Jusqu’à 6 ans en 1977 l’écolier Ma faisait preuve d’une intelligence aigue, quand il vit dans la cour, des copains taper le carton à un jeu magique, américain qu’ils lui dirent: au puke—poker. Comme en un éblouissement, il se découvrit la rage du vice, et dans ces 5 cartes qui lui brûlaient la main, la vocation de sa vie.

Les années s’écoulèrent, où il fit l’école buissonnière plus souvent qu’à son tour jouant sans cesse, insouciant des remontrances des parents et des maîtres. A 12 ans, la projection d’un film au village ajouta de l’huile sur le feu: «Roi des blouseurs aux cartes», avec la vedette Zhou Runfa. Ma retourna le voir des centaines de fois, moins pour la psychologie ou la beauté du 7. art, que pour tenter de repérer les coups et les triches.

Chez ses parents, il s’entraînait jour et nuit, s’initiant à toutes les techniques, comme celle de brasser le jeu en faisant gicler chaque carte en l’air avec rattrapage d’une main, sans que l’oeil nu puisse suivre le mouvement au demeurant entièrement sous son contrôle.

Puis il se mit «au travail», à 18 ans, se mêlant de parties où l’on jouait gros. Le 1er soir, en 30 minutes, il perdit les 15.000 yuans prêtés par des amis. Charitablement, les blouseurs qui le plumaient lui expliquèrent: il avait encore tout à apprendre de la grammaire de l’arnaque. Il fallait en passer par le job en équipe, à leur service. C’est ce qu’il fit, et il apprit vite. Conscients du génie de leur poulain, les parrains de Shenyang et Dalian se mirent à le roder à travers les clandés de haut vol de tout le pays.

En 1993, premier grand succès : à Xi’an, à coups de bluffs et de tours de passe-passe, il fit sa 1ère martingale: 780.000 yuans, ratissés en juste 10 minutes. Assez pour rembourser les triades et se mettre à voler de ses propres ailes. Dès lors, à 22 ans il vécut en flambard, ne se montrant plus que dans des parties très juteuses, préparées de longue date par des syndicats de joueurs. En 1995, à Shenyang, après 48h de jeu enragé sans dormir (une douche au milieu, quelques sandwichs par ci par là), il sortit avec 4,3 millions en poche. En 1997, il fit 2,1millions en 2heures à Tieling (Liaoning). Toujours plus haut, en 2003, il se renfloua à Kaohsiung (Taiwan), avec 9 millions empochés en une nuit. 2004 le vit gagner 6,65 millions au Lisboa à Macao puis 5,4 millions à Ruili (frontière birmane). 2005 fut l’année de sa tournée triomphale en Europe, mine de flambards naïfs où les piles d’oseille gonflaient sur le tapis vert : 580.000² à Spa (Belgique), 2,76M² au Grand Casino de Monte Carlo, où il avait été introduit par les soins officieux d’un interprète chinois pilier de l’établissement.

Observez son talent : en 13 ans de blouse, au poker et mahjong, il n’a jamais perdu et surtout, ne s’est fait prendre qu’ une fois la main dans le sac. A Hainan en 2002, par justice expéditive, ses victimes le séquestrèrent, pour ne le relâcher que contre une taxe de 600.000 ¥, rassemblée et livrée par des amis après quelques jours.

Sa carrière aurait pu continuer longtemps, s’il n’avait décidé de plumer un industriel millionnaire, ami de longue date. Il lui avait fait croire qu’ils faisaient équipe contre des blancs-becs, alors que la situation réelle était l’inverse – l’équipe était avec notre tricheur, contre le richard imprudent. Le coup marcha au-delà de toute espérance, mettant le copain littéralement à la rue. Et c’est alors que Ma se mit à ressentir, contre toute attente, un sentiment qu’il croyait éradiqué en lui : une honte brûlante, perlée de remord face à sa trahison.

Depuis lors, il ne dort plus, ni ne joue. En quête de rédemption, il s’est mis à dévoiler, à toutes ses anciennes victimes ou celles d’autres tricheurs, tous ses trucs pour les ruiner -le miroir-bouton de manchette, le vibreur radio sous la manche (avec message émis par un comparse une main dans la poche, derrière la table)…Au 1er septembre, ce sont plus de 800 joueurs qui ont été édifiés, perdant ainsi l’illusion que contre un pro, on pourrait gagner.

Evidemment, la nouvelle vocation de Ma en bon samaritain ne plait pas à tous, surtout pas au syndicat, avec qui il a rompu. Peu de jours se passent sans menaces de mort. Mais Ma, les ailes brûlées, persiste et signe: « Je suis déjà mort depuis si longtemps—je n’ai plus rien à perdre ». Si lourd est le prix à payer, pour «arrêter le cheval au bord de l’abîme » (悬崖勒马 xuán yá lè mǎ) !

 

 

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