Petit Peuple : Leshan— la vocation est morte avec le clan

Vers 1540, Lei Hansong, mandarin impérial en fin de carrière à Leshan (Sichuan) décida d’ouvrir son école privée. En l’absence de retraite, c’était une manière élégante d’assurer sa pitance et de s’occuper. Ces fonctionnaires choisissaient fréquemment sur leurs vieux jours, de léguer leur culture aux enfants des familles les plus aisées d’un monde rural encore pauvre et illettré.

Ce dont le vieillard ne pouvait se douter, est qu’il venait de fonder sa propre dynastie, celle du savoir. En 2009, seize générations plus tard, sa lignée à donné à la nation pas moins de 76 professeurs, répétiteurs, instituteurs et maîtres des deux sexes, dont bon nombre ont officié dans la glorieuse école de l’ancêtre, à Leshan, entre les dynasties des Ming, des Qing, et les deux républiques (la nationaliste et la populaire),

Le clan des Lei vivait sous une discipline si impérieuse que jusqu’à nos jours, ses rejetons, au moment de se marier, choisissaient leurs compagnons et compagnes dans le corps enseignant, sans exception, même exilés à l’extrémité du pays. Plus frappant encore, tous hommes prenaient tous la littérature et la langue comme matière principale, et les filles, les mathématiques et les sciences.

Aux Lei et à trois autres clans de son territoire, Leshan a dédié un proverbe, synonyme des métiers où ils brillaient : « le blé des Jiang, les arbres des Shi, l’argent des Wang, les livres des Lei» – ces derniers comptent encore une bibliothèque privée de 60.000 volumes. Parmi les maîtres Lei passés dans l’histoire, figure Lei Shaogen, qui dans les années ’30 apprit à lire et à écrire à Guo Moruo, futur poète maoïste et directeur général de la Cité Interdite. Dans les années ’70, Boyuan son fils connut un destin tragique, torturé par les Gardes Rouges, publiquement conspué et poussé au suicide sans avoir jamais daigné abjurer sa foi dans la culture, dénigrée à l’époque comme «bourgeoise» ou «impérialiste».

Mais depuis 20 ans, le ressort qui maintenait les Lei dans leur tour magique commence à se gripper. En s’ouvrant sur le monde, la Chine vacille dans ses valeurs. Un ordre éternel se délite doucement. Dès les années ’50, sous les coups de boutoir de la révolution, le palais Lei aux centaines de pièces et aux 2000m² de courées s’est vu abandonné, partagé entre la popula-ce, ruiné pour retourner lentement à la poussière.

Après avoir couvé tant d’années, un cataclysme pointe. A bout de souffle, la 17ème génération n’a plus envie de reproduire à l’infini la chaîne ADN culturelle du père fondateur. Madame Lei Yingzhou par exemple, trouve que pour ce qu’elle gagne et la renommée qu’elle en retire, faire l’instit’ n’est plus une carrière pour sa fille, sur ses conseils, elle s’est inscrite en fac dans les technologies de l’information. Elle a fait comme Lei Xiaxia, fils de Lei Shenglie, tandis que la fille de Lei Mingcun, elle aussi traître au métier, a choisi la carrière d’ingénieur automobile -elle est en seconde année de son institut spécialisé.

Lei Shenglie cependant se désole: son clan n’a pas pu franchir la barre des cinq siècles au service du tableau noir. Comme frappée d’une antique malédiction, la vocation du clan s’éteint à 494 ans. Sans pouvoir rien y faire, Shenglie craint que le père fondateur ne se retourne dans la tombe, voyant ses descendants prendre la voie à contre-courant (背道而驰 bèi dào ér chí).

Mais qu’est-ce qui lui dit que l’ancêtre ne se réjouit pas, au contraire, de voir ses jeunes se tourner vers un défi nouveau, tout aussi nécessaire : celui de la technologie !

 

 

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